En 2015, l'Ordre des Médecins recensait 192 déserts médicaux dans lesquels vivent près de 2,5 millions de personnes. Dans le but de lutter contre l’aggravation de ce phénomène, des députés ont pensé à une solution qui soulève la controverse. La députée socialiste Annie Le Houérou (Côtes d'Armor), soutenue par une quarantaine de parlementaires dont la présidente de la commission des affaires sociales Catherine Lemorton (PS), a déposé un amendement pour contraindre la liberté d’installation des médecins libéraux par un conventionnement sélectif.
Et le texte a été adopté ce mercredi lors de l'examen en commission du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2017. Il prévoit qu'au sein des zones définies par les Agences Régionales de Santé (ARS) « en concertation avec les syndicats médicaux dans lesquelles existent un fort excédent en matière d’offre de soins, un nouveau médecin libéral ne peut s’installer en étant conventionné à l’assurance maladie que lorsqu’un médecin libéral de la même zone cesse son activité ».
Un dispositif "complémentaire"
Anticipant la fronde des médecins libéraux, le texte précise que « le principe de la liberté d’installation demeure donc, mais le conventionnement n’est possible que de manière sélective pour les nouvelles installations ». Pour ces représentants à l'Assemblée nationale, il ne s'agit que d'étendre aux médecins libéraux un dispositif de régulation à l'installation qui existe déjà pour plusieurs autres professionnels de santé (pharmacies, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes, chirurgiens-dentistes, orthophonistes).
Et les députés qui y sont favorables n'y voient que des vertus, puisque l'amendement se termine ainsi : « l'adoption d’un tel principe (...) permettrait de compléter "utilement" les dispositifs d’incitation à l'installation dans les zones sous dotées qui ont été mis en place dans le cadre du pacte territoire santé. En matière de lutte contre les déserts médicaux, il est urgent de mobiliser l'ensemble des solutions possibles, en particulier lorsque celles-ci ont déjà fait leurs preuves pour d’autres professions de santé ».
Les syndicats médicaux vent debout
Les syndicats de médecins libéraux sont loin de partager cet avis. La CSMF (1), premier syndicat de libéraux, a ainsi déclaré dans un communiqué : « Quand comprendra-t-on que la liberté d’installation est un pilier de l’exercice libéral et qu’on ne peut pas demander aux médecins qui ont un statut libéral de pallier au désengagement de l’Etat des services publics ? ».
Elle rappelle, par ailleurs, qu'il est très difficile pour un médecin de s’installer avec sa famille dans une commune où il n’y a pas ou presque plus d’école, de poste, de gare, etc. « Quand comprendra-t-on que les jeunes tardent aujourd’hui à s’installer devant les contraintes de l’exercice médical libéral ? » Pour le syndicat, la solution aux déserts médicaux doit passer par « un panel de mesures incitatives qui rendra la vie professionnelle du médecin compatible avec les évolutions sociétales actuelles ». Même tonalité du côté de l'Ordre des médecins qui, dans un communiqué, appelle formellement la ministre de la Santé, au nom du Gouvernement, à s’opposer à cet amendement
Pour rappel, exercer en dehors du système conventionnel est une option risquée pour les médecins. Même s'ils disposent d'une liberté tarifaire totale, l’Assurance maladie ne prend pas en charge une partie des cotisations sociales. Résultat, le tarif de ces consultations est plus élevé. Une situation dommageable pour les patients qui sont remboursés sur la base d'un tarif d’autorité très faible fixé à 0,98 €. En réalité, cela signifie quasi aucun remboursement pour le malade, sauf si la mutuelle prend en charge les frais de son adhérent. La patientièle des médecins optant pour ce choix pourrait donc se réduire comme peau de chagrin.
Généralistes : une espèce en voie de disparition ?
Les derniers chiffres publiés en juin 2016 par l’Ordre des Médecins concernant la démographie médicale sont particulièrement alarmants, notamment pour la médecine générale. La situation est également inquiétante pour certaines spécialités médicales. La France comptait ainsi, au 1er janvier 2016, 88 886 médecins généralistes « en activité régulière » contre 97 012 en 2007, soit une baisse de près de 10 000 généralistes en activité en moins de 10 ans.Selon les projections du Conseil de l’Ordre (CNOM), cette baisse devrait s’accentuer dans les 10 prochaines années avec, sur la période 2007-2025, le départ à la retraite d’un médecin généraliste sur quatre. Si les zones rurales sont particulièrement en souffrance, la désertification médicale touche également les zones péri-urbaines, et le cœur de certaines grandes villes.
(1) Confédération des Syndicats Médicaux Français