Ces chiffres vont inquiéter les plus détendus d'entre nous. 300 à 400 000 accidents cardiovasculaires sont à déplorer chaque année en France. En détails, il s'agit principalement d'accidents vasculaires cérébraux (AVC) et d'infarctus du myocarde.
Et ces derniers ne laissent pas beaucoup de chances aux victimes. Avec globalement un tiers de cas mortels et deux tiers de survivants affectés par des handicaps moteurs et cérébraux plus ou moins lourds.
Face à ce constat, les experts s'accordent pour dire que la prévention marche mal dans l'Hexagone. « Si les principaux facteurs de risques cardiovasculaires sont aujourd’hui bien connus, leurs interactions sont rarement considérées », fait remarquer le chercheur Pierre Meneton (1), auteur principal d’une étude visant à améliorer cette carence.
Interrogé par Pourquoidocteur, il assure que ses derniers travaux sur le sujet pourraient bouleverser la donne : « Grâce à la cohorte GAZEL, nous avons pu analyser dans quelle mesure la survenue de chaque facteur de risque était prédite par les autres facteurs, et inversement, avec l’idée que la prise en compte de ces interactions pouvaient présenter un intérêt en terme de prévention », explique-t-il.
Un réseau dense d’interactions réciproques
Il rappelle que « traditionnellement, les facteurs de risques ont tendance à être évalués séparément, sans s’attacher outre mesure aux interactions qu’ils peuvent entretenir entre eux ». « Au mieux, ils sont considérés conjointement pour évaluer le risque cardiovasculaire global », ajoute-t-il. C'est le cas par exemple avec l'équation de Framingham. Elle combine l'âge, le tabagisme, le taux de cholestérol, la pression artérielle et le sexe pour estimer le risque cardiovasculaire.
Mais dans les stratégies de prévention, « la non prise en compte de ces interactions est problématique », estime Pierre Meneton. Selon lui, elle pourrait partiellement expliquer les échecs répétés de ces stratégies. « Essayer de réduire un facteur de risque par des mesures hygiéniques ou pharmaceutiques sans tenir compte des autres facteurs susceptibles de provoquer son apparition va être contre-productif », alerte le chercheur.
Il cite les patients fumeurs avec qui un médecin cherche à diminuer uniquement le risque du tabac alors qu'ils sont simultanément obèses et dépressifs. Et c'est cette approche risque par risque que Pierre Meneton trouve trop limitée.
4 groupes de facteurs de risque
Avec des chiffres comme argument. A l’issue d’une analyse exhaustive de toutes les interactions possibles entre les 12 principaux facteurs de risque – qui peuvent chacun prédire un autre risque et/ou être prédit par lui - s’est dégagé un réseau de 47 relations significatives, dont 22 très significatives. « Le résultat de toute notre étude tient en un schéma qui récapitule les relations entre les différents facteurs de risques », se félicite Pierre Meneton. Parmi elles, l'équipe a trouvé quelques surprises. Comme la dépression qui prédit des facteurs de risques cardiovasculaires tels que le diabète, l'hypertension, l'inactivité physique, etc.
Source : Inserm
Le chercheur distingue au final quatre groupe de facteurs de risque. D'une part, des facteurs non modifiables (sexe, âge, antécédents familiaux) qui prédisent les autres facteurs mais ne sont pas prédits par eux. D'autre part, des facteurs liés au mode de vie (tabagisme, sédentarité, alcoolisme) qui prédisent beaucoup d’autres facteurs – sauf les non modifiables – mais sont très peu prédits par les autres facteurs.
Par ailleurs, il existe aussi des facteurs cliniques en amont (troubles du sommeil, obésité, dépression) qui prédisent beaucoup d’autres facteurs de risque et sont eux-mêmes prédits par de nombreux autres. Enfin, la quatrième catégorie est constituée par des facteurs cliniques en aval (hypertension, dyslipidémie, diabète) qui sont prédits par beaucoup d’autres facteurs mais n’en prédisent que très peu.
Des schémas de prévention à revoir
« Il est nécessaire de mieux prendre en compte les interactions entre tous ces facteurs de risque en pratique médicale », martèle Pierre Meneton. Ce scientifique appelle de ses vœux que son étude puisse déjà fournir un cadre conceptuel aux praticiens.
Pour lui, ses travaux ont pour vertu de ne pas placer le patients dans un cadre d'échec dès le départ. « C'est souvent le cas actuellement lorsqu'un médecin lutte contre le diabète de son patient alors que celui-ci est en surpoids ou obèse. Cela n'a presque aucun sens », tranche cet expert.
Et en attendant que l'utilité de son cadre conceptuel puisse être évaluée, les médecins peuvent le retrouver dans le revue scientifique PLoS One (2), où les travaux ont été publiés.
(1) Unité 1142 Inserm/UPMC, Laboratoire d'informatique médicale et d'ingénierie des connaissances en e-santé (LIMICS), Paris
(2) P. Meneton et coll. A global view of the relationships between the main behavioural and clinical cardiovascular risk factors in the GAZEL Prospective Cohort. PLoS One du 6 septembre 2016