Dix mois après le suicide du Pr Mégnien, cardiologue à l’hôpital George Pompidou, le ministère de la Santé s’est engagé à prendre des mesures pour lutter contre le harcèlement à l’hôpital public. Il l’a annoncé par le bais de son directeur de cabinet, Etienne Champion, qui a rencontré ce vendredi les membres de l’Association Jean-Louis Mégnien.
L’association, constituée au lendemain du drame survenu dans l’hôpital parisien, a vocation à faire reconnaître la situation de harcèlement dans laquelle le médecin aurait été plongé avant de commettre son acte - une enquête judiciaire est en cours. Elle vise également à mettre en lumière un phénomène devenu structurel : à l’hôpital public, des membres du personnel soignant sont l’objet de maltraitances systématiques. Le Pr Bernard Granger, psychiatre à l’hôpital Cochin, revient sur cette réunion au ministère.
Le ministère de la Santé a-t-il reconnu l’existence d’une forme structurelle de harcèlement à l’hôpital ?
Pr Bernard Granger : Il ne l’a pas dit en ces termes. La formule exacte qu’il a utilisée est la suivante : « Y a-t-il des faits de harcèlement à l’hôpital ? A l’évidence, la réponse est oui. Est-ce tolérable ? A l’évidence, non ». Nous nous sommes tellement habitués à une réaction de déni que apprécions cette réponse lucide. Elle est en tout cas plus raisonnable que celle que nous recevons habituellement - à savoir, « vous comprenez, la situation est très compliquée… ».
Le ministère a annoncé la création d’une concertation sur le harcèlement à l’hôpital, pour laquelle notre association sera auditionnée. Des mesures doivent voir le jour d’ici la fin de l’année mais nous n’avons pas eu de précisions sur leur contenu - si ce n’est qu’elles viseront à améliorer la prévention et la prise en charge des cas.
Vous avez fait remonter des cas « urgents et graves » de harcèlement. Lesquels ?
Pr Bernard Granger : Nous avons évoqué le cas de l’hôpital Saint-Calais (Sarthe), où un cadre de santé a mis fin à ses jours en juillet. L’Agence Régionale de Santé avait été alertée à plusieurs reprises de la situation ; le syndicat avait émis un signalement en évoquant un « drame qui [lui] semblait inéluctable », mais l’ARS n’a rien fait. On aurait peut-être pu prévenir ce suicide, comme celui de Jean-Louis Mégnien. Une enquête IGAS est en cours dans la Sarthe.
Dans le même département, nous avons fait remonter les graves difficultés que connaît l'hôpital Château du Loir. Des procédures sont en cours au tribunal administratif.
Nous avons aussi parlé d’autres cas à l’AP-HP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris). A Ambroise Par et Henri Mondor, il y a eu des condamnations pour harcèlement moral devant les juridictions administrative sans que les responsables ne soient inquiétés sur le plan disciplinaire. On constate cette impunité de façon systématique : c’est la personne harcelée qui est stigmatisée, tandis que le harceleur est protégé.
Vous élaborez une carte de France du harcèlement. L’avez-vous montrée au ministère ?
Pr Bernard Granger : Nous avons rassemblé beaucoup de signalements qui nous parviennent de tout le territoire, avec des concentrations dans certains lieux. De nombreuses alertes proviennent d’hôpitaux de l’AP-HP mais toutes les régions sont touchées. Nous avons évoqué cette carte avec le ministère.
Elle verra le jour prochainement, nous avons pris toutes les précautions juridiques nécessaires. Elle ne fournira aucun nom, ne citera que les établissements et recensera des signalements de maltraitance de la part de l'ensemble des membres de la communauté, car toutes les catégories peuvent être touchées.
Retrouvez l'émission L'Invité santé diffusée sur Pourquoidocteur
avec le Pr Philippe Halimi (Hôpital Pompidou) le 8 janvier 2016