29 skippeurs, 40 000 kilomètres et pendant trois mois, la mer à perte de vue. La 8e édition du Vendée Globe a démarré ce dimanche à 13h02. Pour cette course baptisée « l’Everest des Mers », les marins ont dû longuement se préparer à la vie en conditions extrêmes, à la navigation en mer hostile… mais aussi à l’autosuffisance sanitaire.
Jean-Yves Chauve est le médecin du Vendée Globe depuis la création de la course, en 1989. Lui-même navigateur, il a suivi tous les skippeurs de cet événement quadriennal. Il raconte comment on forme les marins à se soigner eux-mêmes et en quoi consiste cette télémédecine de mer très particulière.
Les skippeurs peuvent-ils se soigner seuls sur leur bateau ?
Dr Jean-Yves Chauve : Ils ne se soignent pas vraiment seuls : ils peuvent me joindre en permanence et je leur prodigue les conseils à distance. Ils sont mes yeux et mes mains. Dans leur formation médicale, on leur apprend d’abord à décrire l’ensemble des symptômes pour gagner du temps pendant les communications – la liaison peut être mauvaise, il faut être concis et efficace. Par exemple, s’ils ont une douleur abdominale, ils doivent se palper, la localiser très précisément et rechercher d’autres symptômes (nausée, fièvre…).
Puis, ils apprennent à réaliser les gestes que je vais leur demander de faire au téléphone. En navigation, on a beaucoup de traumatologie. Il s’agit donc de faire des points de suture, de poser une attelle… Sachant qu’il faut toujours adapter à la situation de navigation, quitte à ce que le soin soit moins efficace qu’en médecine de ville.
Par exemple, pour un skippeur qui a une entorse au poignet, l’attelle n’est pas toujours appropriée car une fois sur le pont, sur un bateau instable, le navigateur va attraper une prise et risque de la manquer à cause de la rigidité de l’attelle. Il peut alors tomber à l’eau. Pour éviter les suraccidents, on va adopter des méthodes de soins parfois peu orthodoxes !
Que contient la trousse à pharmacie embarquée à bord ?
Dr Jean-Yves Chauve : Plus d’une centaine de produits ! Beaucoup sont des traitements d’urgence, comme des corticoïdes – qui, d’ailleurs, sont considérés comme un dopant dans les autres sports. C’est là que l’on voit que même s’il s’agit d’une course, on a une vraie différence entre le monde du sport et le monde de la marine. Par ailleurs, s’il peut y avoir un détournement de médicament, notamment pour lutter contre le sommeil, on image mal un dopage pendant trois mois : il y aura forcément un contrecoup avant la fin.
La trousse contient également des antidouleurs des trois niveaux – paracétamol, codéinés, morphiniques. On trouve aussi des médicaments contre les douleurs précordiales – ils permettent de faire la différence entre une douleur thoracique et une douleur cardiaque. Les skippeurs ont aussi un peu de valium, au cas où ils devraient, par exemple, réduire eux-mêmes une épaule luxée. Puis, ils ont des antidiarréhiques, antiulcéreux, antihistaminique, cinq antibiotiques différents…
La mer est un milieu quasiment stérile, il n’y a pas de risque de contracter un virus mais la résistance des marins est altérée par les conditions extrêmes et ils peuvent développer des infections.
Y –a-t-il une tendance à sous-déclarer les symptômes pour ne pas être disqualifié ?
Dr Jean-Yves Chauve : Bien sûr. Pour les rassurer, j’ai coutume de leur faire cette petite boutade : « Mon but, ce n’est pas de te guérir, c’est de te faire finir la course ! ». Globalement, ils sont pris dans leur course et donnent tout pour leur bateau, parfois au détriment de leur propre corps, donc ils ont tendance à sous-estimer leurs symptômes et ne suivre un traitement qu’un jour, par exemple. C’est pourquoi je les incite à m’appeler autant que possible. Cela me permet de les suivre, les surveiller. Il faut être un peu directif, en effet.
Mais les skippeurs du Vendée Globe sont de mieux en mieux formés et sensibilisés. Avant, ils faisaient les gestes comme ça, sans avoir été préparés en amont de la course, avec des télécommunications qui mettaient 15 minutes à aller du bateau à la terre. Quant à leur pharmacie, maintenant, ils la connaissent alors qu’avant, ils avaient tendance à ne surtout pas regarder son contenu, par superstition, pour ne pas se porter malheur. Grâce à ces formations, délivrées depuis le début des années 2000, les marins ont un œil plus objectif sur leur santé pendant la course.