Nous sommes en 2015 après Jésus-Christ. En Bretagne, un village peuplé d’irréductibles médecins résiste encore et toujours à l’Assurance maladie. Entre lettres recommandées et mises en demeure, leur quotidien n’est pas facile. Car cette histoire n’est pas celle d’Astérix et de son village gaulois, même si elle s’en rapproche. Plusieurs médecins généralistes subissent les pressions de leur Caisse primaire d’Assurance maladie (CPAM). Leur tort ? Faire payer la consultation à 25 euros avec près d’un an d’avance.
Deux villages d’Ille-et-Vilaine ont décidé de prendre leur CPAM à rebrousse-poil avec le dépassement d’honoraire. Romillé et Val-d’Izé sont situés à quelques kilomètres de Rennes, chef-lieu de la région Bretagne. Ils ne sont pas considérés comme des déserts médicaux. Mais la zone est fragile : une seule maison de santé pluridisciplinaire existe à Val-d’Izé. Quatre médecins généralistes y exercent leur profession. « Nous sommes sur un territoire de 3 500 à 5 000 patients, et je suis le seul médecin senior installé », souligne Jean-Luc Pontis.
Une crise profonde
Les journées sont longues pour ce professionnel de santé, de 10 à 12 heures selon les circonstances. La faute au manque chronique de praticiens dans cette région. La situation de Val-d’Izé illustre bien le problème : trois jeunes médecins exercent aux côtés du Dr Pontis. Mais ils ne dépassent pas les 35 heures hebdomadaires. « Quand vous faites 60 heures par semaine, vous n’avez pas besoin de rentrer dans vos frais, souligne le médecin. Mais pour mes collègues aux 35 heures, ça n’est pas suffisant. » D’où la nécessité d’augmenter les tarifs.
La nouvelle convention médicale, signée fin août, prévoit de revaloriser la consultation. De 23 euros, elle passe à 25. A une nuance près. Cette évolution n’est pas applicable avant mai 2017. Certains médecins ont pris de l’avance, à l’image de Romillé et Val-d’Izé. La première commune a commencé son mouvement en janvier, la seconde a suivi dès le mois de juin. La CPAM n’a pas tardé à leur taper sur les doigts. A ce jour, Jean-Luc Pontis, médecin généraliste, a reçu deux mises en demeure. Il attend désormais sa convocation auprès de la Commission paritaire locale. « Je les ai accompagnés pour ne pas les laisser seuls et pour marquer le malaise de la médecine ambulatoire », martèle-t-il. Car la crise est plus large que celle des honoraires.
Un exercice difficile
Le dépassement d’honoraire est clairement affiché à Val-d’Izé. En salle d’attente, un document précise aux patients le montant de la consultation. Seuls les patients adultes sont concernés s’ils ne souffrent pas d’une affection de longue durée. « 67 % de mes actes sont à 25 euros », indique Jean-Luc Pontis. Une désobéissance qui ne passe pas inaperçue, puisque deux grands syndicats médicaux leur ont apporté un soutien public. Il n’est donc pas seul dans cette bataille. D’autant que, lors d’une évaluation précédente, l’Assurance maladie a relevé que 675 médecins pratiquaient un dépassement d’au moins deux euros.
Au-delà du mouvement tarifaire, le généraliste veut tirer la sonnette d’alarme. Dans les zones en tension, les conditions d’exercice sont devenues impossibles. A 65 ans, Jean-Luc Pontis est retraité depuis maintenant 6 mois. Mais sur ses épaules repose le sort de deux structures : la maison pluridisciplinaire de Val-d’Izé et la maison de garde de Vitré. « Mes confrères m’ont dit qu’ils arrêteront le jour où je prendrai ma retraite », lâche-t-il.
Le désert médical est donc une menace réelle. Le seul village de Val-d’Izé compte 5000 habitants. La maison de garde, elle, reçoit 70 000 patients.