Chaque année, 60 000 bébés naissent prématurément en France. Si les taux de survie de ceux nés après 27 semaines de grossesse dépassent les 90 %, la France a de gros progrès à faire pour les bébés nés à 25 semaines ou moins. Et elle pourrait notamment s’inspirer du modèle suédois, qui a déjà fait des émules dans d’autres pays d’Europe du Nord. La Suède propose une prise en charge active des bébés dès 22 semaines, mais elle a aussi développé l’approche du couple care, qui met les parents au centre de la prise en charge. Le Pr Pierre Kuhn est pédiatre dans l’unité de néonatalogie du CHRU de Strasbourg, il œuvre pour que la place des parents soit mieux reconnue en France, en particulier celle des pères.
Vous avez passé un an en Suède. Quelles sont les plus grandes différences avec la France dans la prise en charge de la prématurité ?
Pierre Kuhn : En termes d’organisation, on est très voisin de ce qui est fait en Suède, mais la grosse différence, c’est l’intégration des parents du début de l’hospitalisation de l’enfant jusqu’à sa sortie. Le philosophie est de ne pas séparer l’enfant de ses parents tout au long de sa prise en charge. Ils sont considérés comme des partenaires privilégiés des soins. L’idée n’est pas qu’ils remplacent les soignants, mais qu’ils soient ceux qui vont interagir le plus avec l’enfant. Cela renforce l’attachement, et apporte au bébé des stimulations sensorielles positives. Dans la plupart des centres en France, le premier contact se fait encore avec des soignants.
La présence des pères vous a particulièrement surpris ?
Pierre Kuhn : En Suède, on voit dans tous les services des papas qui sont présents. Cela est soutenu par la société suédoise, puisqu'il y a un congé paternel qui permet aux deux parents d’être présents durant les deux premiers mois de la vie de l’enfant. Les pères peuvent donc être là dans les tout premiers jours de vie de l’enfant, un moment où, souvent, la maman est en train de récupérer de son accouchement prématuré. Le père peut donc à la fois apporter les premiers soins à son enfant et soutenir la mère dans une situation qui reste toujours un traumatisme.
Les bénéfices de cette approche suédoise sont-ils documentés ?
Pierre Kuhn : Une étude a évalué scientifiquement le couple care dans un service de néonatalogie de Stockholm. Certains nouveau-nés étaient placés dans des chambres standard, alors que d’autres bénéficiaient de pièces aménagées pour que les parents puissent être présents tout le temps. Ces travaux ont montré que ces derniers avaient une durée d’hospitalisation, surtout pour la partie en soins intensifs, et une nécessité de support ventilatoire réduites de quelques jours. Il y a donc, au moins à court terme, des bénéfices pour les enfants. On sait aussi que l’allaitement a un effet bénéfique sur les fonctions cognitives des nouveau-nés prématurés, et lorsque les deux parents sont présents, sa mise en place peut être moins compliquée. Le peau à peau a aussi démontré ses bienfaits, et là encore, quand les deux parents peuvent se relayer, c'est forcément mieux.
Un groupe de travail parlementaire sur la prématurité a été créé en mai dernier. Qu'en attendez-vous ?
Pierre Kuhn : C’est une initiative remarquable qui a vu le jour sous l’impulsion des associations de parents et de la Société française de néonatalogie. Au-delà de la nécessité d’améliorer les conditions d’accueil des enfants et de leurs familles pour faire correspondre l’environnement de l’hôpital et les besoins sensoriels des bébés, il faudrait aussi mieux accompagner les parents. Et bien entendu, disposer d’un congé parental spécifique qui permette aux deux parents de rester serait une réelle avancée. Mais il y a aussi l'aspect financier qui ne doit pas être occulté. Faire des kilomètres tous les jours pour aller voir son enfant, parfois louer un logement sur place, tout cela est un fardeau pour les familles.
Il existe aussi des besoins dans le suivi des enfants ?
Pierre Kuhn : La prématurité ne se limite pas à la période périnatale. Il faut aussi penser à l’accompagnement après le retour à la maison. Il est nécessaire que les enfants puissent être suivis de façon précise dans des centres dédiés à cet effet. Il faut qu’il n’y ait aucun perdu de vue. Il y a aujourd’hui des réseaux de suivi en France, mais les prématurés sont de plus en plus nombreux et les centres sont en difficulté pour faire face. Il est donc important qu’il y ait plus de personnels formés pour éviter que les enfants attendent plusieurs mois avant d'obtenir un rendez-vous de suivi. Ce qui existe doit être renforcé pour que, partout sur le territoire, l’offre de soins et de suivi soit la même.
A l’occasion de la Journée mondiale de la prématurité, l’association SOS Préma lance une campagne de sensibilisation. « Les enfants prématurés sont nos plus petits, nos plus fragiles et sont aussi notre avenir, comme tous les enfants. Il est de notre devoir à tous de tout faire pour aider ces enfants, qui n’arrivent pas dans la vie avec les mêmes chances que les autres, et ainsi, réduire les inégalités », explique Charlotte Bouvard, fondatrice de l’association.
La campagne 2016 repose sur quatre visuels qui ont pour but de rappeler que la prématurité sépare encore trop souvent le nouveau-né de ses parents. « La prématurité est un problème relativement récent, il y a 50 ans, il n’y avait pas de prématurés, rappelle Charlotte Bouvard. Il y a un décalage entre les progrès médicaux et l’évolution de la société. » Un décalage que mettent en lumière les nombreux appels reçus par l'association. Depuis 12 ans, 500 000 familles ont pris conseil auprès de la ligne d'écoute (0811 886 888).
SOS Préma a contribué à la création d’un groupe parlementaire de travail sur la prématurité. L’association espère qu’un projet de loi visant à améliorer l’accompagnement des parents et la formation des personnels sera bientôt déposé.