Incroyable, mais vrai : je tiens le coup. En même temps, il me serait difficile de craquer en public, notamment au travail. Les murs de l’open-space arborent de grand posters « Moi(s) Sans Tabac » et mes collègues ont fait imprimer sur des mugs le hashtag #marionarrête, dévolu à ma désintoxication. Ma meilleure amie, elle-même sevrée depuis 263 jours, s’est autoproclamée « marraine de sevrage » et toute ma famille est « tellement fière ». Tu parles d’une pression.
Donc mon sevrage se poursuit, avec un sentiment fréquent de satisfaction et de dépassement de soi, et, parfois, un peu d’abattement et de frustration – mais c’est fugace. Je me répète à l’envi que le fumeur ne soulage ni un besoin ni une envie, juste une souffrance qu’il a lui-même engendrée et qu’il ne cesse de nourrir, alors autant briser la chaîne. Quand l’argument rationnel ne fonctionne plus, j’essaye de divertir mon esprit rongé par le désir tabagique. Alors, je navigue sur les appli de sevrage de mon Smartphone.
Communauté de futur-ex-tox
J’en ai téléchargé quatre et à mon humble avis, le top de l’appli anti-tabac nous provient de nos voisins suisses : stop-tabac.ch. Interface verte-optimisme, décompte des jours sans cloper et des heures de vie gagnées – 24, en ce qui me concerne, définies selon un calcul dont la rigueur scientifique me laisse sceptique, mais quand même, ça fait du bien.
Calcul, également, du nombre de cigarettes non fumées : 170, pour une économie de 51 €. Quand j’ai configuré l’application, fidèle à ma mauvaise foi de fumeuse, j’ai bien sûr sous-évalué ma consommation, ce qui est un peu bête car si j’avais été honnête, le résultat affiché n’en serait que plus impressionnant. Mais le fumeur réalise rarement qu’il se tire une balle dans le pied quand il se ment – et cela arrive souvent.
Outre les décomptes, l’appli propose un forum qui rassemble la communauté des futur-ex-toxicos et autres fumeurs en repentance. C’est d’ailleurs là le vrai atout de cette appli. On peut y chercher du soutien : quand j’ai exprimé mon envie de fumer tout ce qui se trouvait sous mes yeux (stylo, papier, plante...), j’ai eu droit à une pluie de messages de bienveillance, de compassion et d’altruisme. On peut aussi y lire les souffrances d’autres fumeurs torturés : ça occupe.
Parfois, l’envie stagne. Je me rends alors sur la deuxième application de mon classement : Kwit. Les concepteurs ont bien compris que toute addiction est une maladie de la récompense. Ils proposent de faire passer des niveaux et de gagner des trophées au gré de son sevrage. Remplacer une clope par un trophée « bien-être » : la ficelle est un peu grosse, mais avec de la volonté, on finit par y croire.
Harceler un tabacologue ?
Tabac Info Service, c’est l’appli de la campagne « Moi(s) Sans Tabac » ; elle a fait peau neuve pour l’occasion. En cas de risque de rechute imminente, il faut aller sur l’onglet « je vais craquer » et tester les « astuces du jour ». Exemple : revisiter mentalement un lieu, faire des pompes, jouer avec un chien ou lister des cadeaux. Soit des activités parfaitement normales pour une journée de travail.
Sinon, on peut appeler un tabacologue, directement depuis l’application. Au début, j’avais le projet de les harceler puisqu’ils sont là pour ça. Finalement, je ne les ai jamais contactés mais je pense souvent à eux. Ca ne doit pas être tous les jours facile de servir d’exutoire à 175 546 ex-fumeurs à cran, selon les dernières données officielles du Moi(s) Sans Tabac.
Enfin, si vraiment, l’envie résiste, il faut aller en dernier recours sur MLC (my last cigaret), afin de pratiquer l’art de l’autosuggestion avec des chiffres bidon et un transfert d’émotions, tantôt apaisées, tantôt horrifiées. L’application calcule le risque relatif de cancer du poumon et de crise cardiaque, évalue le nombre de personnes qui sont mortes du tabagisme depuis qu’on a soi-même arrêté (pas glauque du tout…). Le médecin de l’appli, représenté par un pictogramme, a tous les jours un mot joyeux et sympathique. Aujourd’hui c’est : « fumeurs = espèce en extinction » !
Voilà, tout ceci est un peu chronophage, mais j’ai souvent entendu dire que les fumeurs gagnaient du temps lorsqu’ils arrêtaient. Et je dois admettre que c’est vrai. Je ne sais pas où j’ai réussi à capter des minutes supplémentaires dans la journée mais c’est un fait : depuis que j’ai arrêté de fumer, je suis moins en retard, plus ponctuelle. Je n’ai pas d’explication. Je poserai peut-être la question à un tabacologue...