Grâce aux avancées de l’imagerie médicale fonctionnelle, de la génétique et des neurosciences, les chercheurs portent désormais un regard scientifique sur la naissance de l’amour. Fin de la poésie et du romantisme ? Recul des théories psychanalytiques de l’amour ? Pas forcément selon le chercheur et psychiatre Serge Stoléru. Docteur en psychologie, chercheur à l’Inserm-Hôpital Paul Brousse à Villejuif, il est l’auteur d’ Un cerveau nommé désir, publié aux éditions Odile Jacob. Il décrypte pour nous les bases biologiques du lien amoureux et de la fidélité conjugale.
Que se passe-t-il lors de la première rencontre amoureuse ?
Serge Stoléru : A notre insu, le cerveau effectue rapidement une première évaluation de la personne. Me plaît-elle ou pas ? Correspond-elle aux schémas profondément inscrits en moi de plaisir, de désir et même de joie ? Il est probable que ces perceptions sont mises en relation avec des perceptions déjà mémorisées. Si je suis un homme hétérosexuel, mon cerveau se demande si la personne en face de moi correspond bien à la femme que « j’attends ».
Vous rejoignez donc en cela certaines théories freudiennes. « Trouver l’objet sexuel (l’objet aimé) n’est en fait que le retrouver ?
Serge Stoléru : De mon point de vue, il n’y a pas ici de contradiction entre les résultats de la neuro-imagerie et les acquis de la psychanalyse. Freud estime que lors du choc amoureux, l’autre entre en résonance avec l’enfant en soi et fait remonter à la surface des émotions enfouies… Lorsqu’on montre à des personnes la photographie de la personne aimée, la neuro-imagerie révèle chez elles une activation de l’hippocampe dans le cerveau. Or, cette région cérébrale est connue pour être le support de la mémoire épisodique. Probablement que la rencontre réveille en soi des souvenirs inconscients profonds.
La fidélité dans le couple a –t-elle une composante biologique ?
Serge Stoléru : Une expérience chez les rongeurs tendrait à le montrer. Le campagnol des prés est un rongeur polygame et solitaire. Le campagnol des prairies, une espèce très proche, est lui, monogame et très social. Comment expliquer une telle différence de comportement chez deux espèces si proches ? Chez le campagnol monogame, on relève, dans un centre nerveux lié au plaisir, un nombre important de récepteurs de la vasopressine, un neurotransmetteur que l’on trouve dans le cerveau. Chez le polygame, il y en a très peu. Or, on sait que lors de la copulation, cette substance agit sur l’animal. Sa libération entraîne un attachement plus fort à la femelle. Il sera fidèle et élèvera ses petits.
Mais ce qui est encore plus extraordinaire, c’est qu’on peut inverser ce comportement en injectant à l’animal polygame « la version monogame » du gène. Cela peut-il être transposé à l’espèce humaine ? Aucune étude en ce sens ne l’a jamais prouvé jusqu’à présent. Bien d’autres facteurs interviennent, notre histoire, notre culture, notre éducation, etc.
Existe-t-il des soubassements biologiques de l’empathie dans le couple ?
Serge Stoléru : Oui, nos comportements sont effectivement soumis à des facteurs de notre biologie, Freud le disait déjà ; mais j’insiste, l’ histoire personnelle entre bien évidemment en ligne de compte. Cela étant dit, des études génétiques commencent à montrer que la forme du gène du récepteur de la vasopressine a une influence sur la perception de la relation conjugale.
Des chercheurs ont montré que selon la forme du gène que l’on possède ( allèle 334), les hommes étudiés ont une perception plus ou moins positive de leur couple . Statistiquement, les hommes qui n’ont pas l’allèle 334 perçoivent, en moyenne, leur lien conjugal comme plus profond et les conflits conjugaux comme moins forts que ceux qui ont l’allèle 334 !
Des études similaires ont été tentées avec l’ocytocine, « l’hormone de l’attachement ». Les chercheurs ont constaté que, statistiquement, plus le gène du récepteur de l’ocytocine avait certaines caractéristiques, mieux la communication passait dans le couple.
Casanova ou pas, c’est dans les gènes, ça aussi ?
Serge Stoléru : Des recherches sur les jumeaux se sont penchées sur le nombre de partenaires sexuels au cours de la vie. Elles ont révélé une concordance plus forte chez les vrais jumeaux ( même matériel génétique) que chez les faux ( matériel génétique différent). C’est une forte indication, mais pas une preuve. Là encore l’histoire personnelle compte beaucoup. Nous ne sommes pas prisonniers de nos gènes !