Pour renforcer l’accès et le droit à l’interruption volontaire de grossesse, l’Assemblée Nationale va examiner ce jeudi l’extension du délit d’entrave aux supports numériques. A en juger par les réactions suscitées par le texte examiné en première lecture par Commission des Affaires sociales, qui l’a finalement adopté, on pressent un vif débat dans l’enceinte parlementaire. Pourquoidocteur revient sur cette proposition de loi qui crée tant de polémiques.
Délit d’entrave à l’IVG : qu’est-ce que c’est ?
La notion est apparue pour la première fois dans la loi française en 1993 afin de renforcer l'accès à l'IVG. Toute personne qui tente d’empêcher l’accès à une intervention en bloquant l’entrée de l’établissement, ou en exerçant des menaces sur le personnel soignant ou la femme s’expose à des poursuites. En 2001, ce droit est confirmé et renforcé : les pressions morales ou psychologiques sont également considérées comme une tentative d’entrave. Les peines sont également alourdies : elles s’établissent à deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. De quoi dissuader les plus rétrogrades.
L’année 2014 voit la progression se confirmer. La loi du 4 août « pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » complète le dispositif. Les femmes qui souhaitent s’informer sont elles aussi considérées comme des victimes si une pression psychologique ou physique leur est opposée.
Mais en 2016, l’information est massivement délivrée par Internet. C’est pourquoi le législateur veut étendre ce délit d’entrave aux supports numériques. En ligne de mire : les sites anti-ivg, qui se présentent comme des sites d’information sur l’avortement alors qu’ils sont clairement orientés et biaisés.
L’extension de ce délit sur Internet contrevient-elle à la liberté d’expression ?
A vrai dire, le débat n’est pas tout à fait celui-là. La loi vise les sites qui ont l’apparence de sites d’information neutre - ivg.net, sosbebe.org, ecouteivg.org, ou encore afterbaiz.com – mais qui sont en réalité gérés par des opposants à l'IVG. Le législateur ne réclame pas pour autant sa fermeture : on a le droit, en France, de défendre ou d’abhorrer l’IVG.
Le problème, c’est que ces sites proposent un numéro vert, des conseils, un suivi… sans préciser leur opinion. Ceux qui y travaillent incitent par exemple les femmes à prolonger leur réflexion de manière à dépasser le délai légal de l’IVG.
En fait, ces sites avancent masqués, et c’est précisément ce que le législateur souhaite empêcher afin que les femmes ne soient pas leurrées par une information non-objective et puissent éventuellement porter plainte si elles l'ont été.
En revanche, si ces sites affichent clairement leur position, la loi ne s’appliquerait plus. Que ceux qui s’en inquiètent se rassurent donc : il sera toujours possible de clamer ses vues anti-IVG sur les réseaux sociaux, les forums et tous les sites, pourvu que l’on connaisse les orientations de ceux qui désirent délivrer une information sur le sujet.
Quelle est la situation de l’IVG en France ?
Les gouvernements qui ont légiféré en faveur de l'IVG ont été confrontés à de nombreuses critiques, à commencer par celle qui consiste à dire que promouvoir le droit à l’avortement risque de le banaliser au sein de la population et d’augmenter le nombre d’IVG. Ce qui est faux, puisque depuis 2006, les chiffres restent stables, aux alentours de 220 000 IVG par an.
Toutes les femmes n’ont pas le même recours à l'avortement. Celles de moins de 20 ans sont les moins nombreuses à y faire appel. Avec le temps, la part de personnes touchées augmente avant d’amorcer un recul vers 30 ans. L’âge moyen est de 27,5 ans.
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Ce qu'ils en disent
Ce mardi, le chef de file des députés Les Républicains a indiqué que son groupe parlementaire s'opposerait à la proposition de loi. Christian Jacob a dénoncé une entrave à « la liberté d'expression », ainsi que « la pensée unique et les tons moralisateurs » des socialistes.
Le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Georges Pontier, a quant à lui pris sa plume pour demander, dans une missive adressée à François Hollande, l’abandon de ce texte de loi qui « met en cause les fondements de nos libertés et tout particulièrement de la liberté d’expression qui ne peut être à plusieurs vitesses selon les sujets », et qui « contribuerait à rendre cet acte de moins en moins volontaire, c’est-à-dire de moins en moins libre ».
Interrogé par Le Figaro, le Pr Israël Nisand, chef du pôle gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg, a estimé pour sa part que « le négationnisme des troubles qui peuvent survenir à la suite d'une IVG ne sert pas la cause des femmes. J'ai beau être un militant de la première heure en faveur de l'IVG, on me traite de marchand de morale dès que j'évoque ce sujet. Mais je persiste, la meilleure IVG est celle que l'on n'a pas eu besoin de faire, parce qu'on l'a prévenue. Même si ma parole est malheureusement récupérée par les anti-IVG ». Israël Nisand insiste ainsi sur la nécessité de promouvoir la contraception pour éviter les IVG, tout en se montrant favorable à l’extension du délit d’entrave.
Enfin, en septembre, Laurence Rossignol, ministre du Droit des Femmes, légitimait la mesure qu’elle souhaitait voir adopter en ces termes : « Etre hostile à l’IVG est une opinion que chacun peut exprimer librement et par tout moyen dans notre pays. En revanche, attirer les femmes sur des sites présentés comme des sites d’information, qui affichent un vocabulaire, une posture jeune, moderne, pour donner des informations fausses, biaisées, dans le but de dissuader des femmes de recourir à l’IVG, de les culpabiliser, ça n’est pas acceptable ».