Lutter contre l’IVG ? Alors que les députés viennent de voter en faveur de l’extension du délit d’entrave aux supports numériques, qui ravivent les clivages sociétaux, certains y semblent résolus. Pas Israël Nisand. Pour le chef du service gynécologie-obstétrique au CHU de Strasbourg, il faut renforcer le droit à l’IVG mais également veiller à en réduire le nombre en France – 220 000 par an, un chiffre stable depuis dix ans.
« Personne n’a envie que sa fille avorte, quoi qu’on en dise », explique celui qui se présente aussi comme un « défenseur de la première heure du droit à l’IVG » et qui milite pour renforcer l’éducation sexuelle des jeunes afin de prévenir les grossesses non désirées.
Pourquoi estimez-vous que les jeunes manquent d’éducation sexuelle ?
Pr Israël Nisand : Parce que c’est un fait. Depuis 2001, la loi impose trois heures d’éducation à la vie affective et amoureuse dès l’âge de quatre ans. Les ministres de l’Education successifs savent très bien que la loi n’est pas appliquée. Mais ils ne veulent pas se mettre à dos les parents d’élèves, notamment ceux issus du courant catholique, qui estiment que c’est là est une affaire de famille.
Je crois que la meilleure des IVG est celle que l’on prévient. Or, à l’école, on ne parle pas aux les jeunes de sexualité ni de contraception. Si vous ne donnez pas d’information à une jeune fille de 15-16 ans qui commence sa vie sexuelle, eh bien, elle sera enceinte. Bien sûr, il y aura toujours des conduites à risque, notamment chez les mineurs, c’est inéluctable. Mais déployer une vraie pédagogie autour de la sexualité permettrait d’éviter plusieurs écueils, comme la pensée magique de la jeune fille qui se convainc qu’elle ne tombera pas enceinte pendant ses règles ou en pratiquant la méthode du retrait... Cela permet aussi de renforcer la connaissance que les jeunes ont de leur corps.
Mais la plupart des IVG sont réalisées sur des femmes qui étaient sous contraceptif et qui ont eu un accident…
Pr Israël Nisand : C’est parce que l’effort médical actuellement consenti est insuffisant. Dans la formation initiale des médecins, on n’apprend pas la première consultation de contraception. Du coup, les médecins traitants font vite fait une ordonnance de pilule sur le coin de bureau. Dans les meilleurs cas, ils n’examinent pas la jeune femme, ne livrent pas l’information sur l’ensemble des méthodes contraceptives – implants, stérilets…
Effectivement, beaucoup de femmes qui subissent une IVG avaient vu un médecin pour leur contraception. Cela montre précisément l’inefficience du système actuel, qui ne fait pas de la prévention des grossesses non désirées une priorité de santé publique.
Outre l’éducation, que contiendrait un plan prioritaire de lutte contre les grossesses non désirées ?
Pr Israël Nisand : Rien que nous ne connaissions pas. Il faut créer des réseaux d’orthogénie, comme cela se fait à l’étranger. Dans une vallée reculée où les taux d’IVG sont élevés, on réunit les médecins traitants avec les sages-femmes, les infirmiers et les pharmaciens de la vallée. On désigne quelques personnes pour faire de l’information dans les écoles. Les élèves savent que quand ils verront ces médecins, ils ne se feront pas examiner une nouvelle fois et tout sera gratuit. Pour la délivrance, leur ordonnance sera réalisée gratuitement par le pharmacien qui se fera directement rembourser.
Nous avions expérimenté cela il y a quinze ans dans la vallée de la Bruche, où l’on avait beaucoup d’IVG car c’est à 60 kilomètres de Strasbourg. Ca a été un vrai succès, puisque les IVG ont chuté. Les jeunes, quand vous leur en donnez les moyens, ils n’ont pas envie d’avoir des ennuis.