Il y a quelques jours, les députés ont définitivement adopté l’extension du délit d’entrave à l’IVG. Le texte vise les sites Internet qui se présentent comme neutres et purement objectifs, mais sont en réalité gérés par des opposants à l’avortement qui délivrent une information très orientée. C’était l’une des premières fois que les pouvoirs publics s’attaquaient aux contenus numériques biaisés ou propagandistes – ils l’avaient fait pour les sites djihadistes. A chaque fois, ils ont pu mesurer l’immense complexité de leur tache.
Il faudra de toutes façons plus : le législateur ne viendra jamais à bout du flux de données biaisées, tronquées, truquées du Web.« C’est d’un esprit critique qu’ont besoin les jeunes, la problématique existe depuis toujours mais elle est d’autant plus criante dans un contexte d’infobésité », résume Hélène Dupont, responsable du programme national « Internet Sans Crainte ». De fait, si les adultes peuvent se laisser berner par ce qu’ils trouvent sur Internet, les plus jeunes s’avèrent particulièrement vulnérables.
En 2015, les adolescents français ont passé en moyenne 13h30 par semaine sur Internet. Combien, parmi eux, ont réellement compris les contenus sur lesquels ils ont surfé pendant toutes ces heures ? Qui a su en faire le tri et la critique ?
« Dupés »
Très peu, à en croire les résultats d’une étude récente de l’Université de Stanford. Menés sur 7800 étudiants américains, les travaux montrent que sur Internet, les jeunes ne parviennent pas à distinguer ce qui relève d’une information tangible, d’une rumeur, d’une publicité ou encore d’une propagande. La plupart des participants ont pris pour argent comptant les images et les messages, sans en questionner la source ni l’intention. Ils ont été « dupés », expliquent les chercheurs, qui concluent, laconiques: « la capacité de raisonnement des jeunes sur l’information en ligne se résume en un mot : désolante ».
Les résultats sont extrapolables à la France, où la vulnérabilité des jeunes face aux contenus numériques inquiète jusqu’aux plus hautes sphères. « Le problème, c’est qu’ils n’ont pas les clé de compréhension, les outils pour manier Internet », explique Hélène Dupont. Sur les réseaux sociaux, l’information vient à eux par le prisme de certains algorithmes et les jeunes ont tendance à penser que parce qu’elle circule, elle est vraie ».
La problématique s’est illustrée au lendemain des attentats de Charlie Hebdo, quand les théories du complot se sont propagées comme une traînée de poudre, séduisant les jeunes esprits manipulables, non formés à la critique de ces contenus. Ce n’était là qu’une face émergée. Sur la Toile, la rhétorique complotiste a ses quartiers, ses méthodes bien huilées et un choix illimité - Illuminati, 11 septembre, vaccins, Mickael Jackson… Selon le gouvernement, un jeune sur cinq adhère à ces théories, mais bien plus se font avoir par les innombrables hoax et fake qui circulent.
« Donner du sens : c’est le principe même de l’ouverture au monde ! martèle Xavier Pommereau. Quand on ne comprend pas, on est ignorant. Or, la barbarie, c’est le règne de l’ignorance ». Pour le psychiatre dévolu à la compréhension de la psyché des jeunes, il faut agir, et vite. « On n’imagine pas à quel point il est violent d’être plongé dans un monde d’images et de données qui n’ont pas de sens », soupire-t-il.
Eduquer
En réalité, l’enjeu est énorme sur de multiples plans - sociétal, sanitaire, politique… Mais par où commencer, quand « il y a de tout » ? Le gouvernement a fait le pari de l’éducation, en rendant obligatoire depuis 2013 l’éducation aux médias et à l’information dans le secondaire. « Internet Sans Crainte » fournit des ressources pédagogiques aux enseignants et aux éducateurs ; après, c’est à eux d’appliquer le programme comme ils l’entendent.
Le vrai, le faux, le réel, le virtuel : sur le terrain, la demande d’information très concrète est forte. « Il faut parler avec les jeunes de ce qu’ils voient, visionner les vidéos qui circulent, commenter l’actualité qu’ils comprennent très partiellement – ils mélangent tout, ne recontextualisent rien ! insiste Xavier Pommereau. Travailler sur les images, leur faire chercher Alep sur Google Earth… donner du sens et de la perspective ». Un travail aussi tentaculaire que ne l’est la Toile, mais qui semble passionner les élèves, à en croire les enseignants investis dans cette mission.