Le nom du Dr Lekhraj Gujadhur restera sans doute gravé dans les annales de la psychiatrie. Non pas au rayon des découvertes, mais à celui des faits divers marquants pour la profession.
Poursuivi pour homicide involontaire, ce psychiatre vient d’être condamné par le tribunal correctionnel de Grenoble à 18 mois de prison avec sursis pour un meurtre commis par l’un de ses patients schizophrène. Le médecin va faire appel de sa condamnation.
Les faits remontent à 2008. Le 12 décembre, raconte Pierre Bienvault dans le journal La Croix, Jean-Pierre Guillaud, 56 ans, s’échappe de l’hôpital de Saint-Egrève (Isère) alors qu’il bénéficie d’une autorisation pour se promener dans le parc sans surveillance. Ce patient est atteint d’une psychose délirante chronique depuis près de quatre décennies et a été l’auteur d’agressions à l’arme blanche, précise Libération.
Il prend le car pour rejoindre Grenoble et s’achète un couteau. Et tue le premier inconnu qu’il croise sur sa route. Luc Menier a 26 ans et termine son doctorat en génie mécanique.
L’affaire fait grand bruit et le président de la République de l’époque, Nicolas Sarkozy, s’en saisit pour affirmer que « le drame de Grenoble ne doit plus se reproduire ». Un discours musclé, se souvient Libération, qui amorce un virage sécuritaire de la psychiatrie, aux yeux de la profession.
Les paroles s’envolent, mais la justice passe. Elle renvoie devant le tribunal le Dr Lekhraj Gujadhur. « Sa condamnation est incompréhensible, plaide aujourd’hui son avocat Me Jean-Yves Balestas. Deux jours avant le drame, ce patient avait certes subi une crise, mais son état s’était ensuite stabilisé », souligne-t-il. « On reproche à mon client de l’avoir laissé sortir dans le parc. Mais il faut savoir qu’il bénéficiait d’une autorisation du préfet pour sortir de l’hôpital une fois par semaine. C’est donc bien le signe qu’il n’était pas jugé immédiatement dangereux. »
La version avancée par la partie civile est tout autre. « Le Dr Gujadhur avait confié son suivi à une médecin stagiaire qui, trois jours avant le drame, l’avait alerté sur une aggravation de son état. Il était en état de décompensation et avait montré des pulsions meurtrières, » objecte Me Hervé Gerbi.
Mais derrière ce fait divers tragique, les professionnels de la santé mentale s’interrogent. Un psychiatre peut-il être tenu pour responsable des actes de son patient ? Interrogé par Libération, l’un d’eux répond : « Ce jugement est lourd de dérives. On ne peut pas prévoir. Laisser croire que l’on peut éliminer tous les risques est un leurre. Il y a des choses qui nous échappent. »