Dans tous les scandales de santé publique, de l’affaire du sang contaminé à celles des prothèses PIP, les victimes rencontrent nombre d’obstacles pour faire reconnaître les préjudices qu’elles ont subis et pour se faire indemniser. En premier lieu, les affaires mettent du temps à être mises à jour. Et lorsque l’on découvre l’existence d’un scandale sanitaire, les victimes potentielles doivent avancer des preuves, même des années après les faits. Sur les 7721 dosiers déposés l'an dernier à l'Office national d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux (Oniam) dans le cadre de l'affaire du Mediator, 1493 ont été étudiés et 68 seulement ont fait l'objet d'une proposition d'indemnisation.
Un lien de causalité difficile à définir. Les preuves ne sont pas faciles à réunir, surtout plusieurs années après les faits et concernant des personnes vivantes, sur lesquelles l’autopsie n’est par définition pas possible. L’affaire du Médiator est caractéristique de cette difficulté. Par ailleurs, « le doute ne profite pas à la victime, déplore Alain-Michel Ceretti, fondateur de l’association Le Lien. Le seul cas est celui des infections nosocomiales (infections contractées dans un établissement de santé), pour lesquelles il n’y a pas de preuves à apporter que c’est l’hôpital qui est en faute ».
Ecoutez Alain-Michel Ceretti, fondateur de l’association Le Lien et conseiller santé auprès du médiateur de la République : « Il y a là un choix de société : est-ce que le doute doit profiter à la victime, ou pas ? Manifestement, il profite peu à la victime. »
Un manque d’information des victimes. « Notre première difficulté est d’obtenir des informations », explique Murielle Ajello, présidente de l’association MDF PIP, pour Mouvement de défense des femmes porteuses d’implants et de prothèses. Les victimes vont chercher elles-mêmes les informations, par le biais de la presse ou de leurs enquêtes personnelles. « On ne nous prend pas en considération », conclut Murielle Ajello.
L’impossibilité de créer une action de groupe. Dans la loi française, il n’existe pas pour les victimes de possibilité de déposer ensemble un recours en justice, comme c’est le cas aux Etats-Unis par exemple avec les class actions. Du coup, les victimes se réunissent fréquemment en créant par exemple en premier lieu des associations. « Cela devient des sortes d’actions de groupe au pénal, constate Marie-Odile Bertella-Geffroy, juge d’instruction, qui a notamment instruit l’affaire du sang contaminé. C’est plus facile pour les avocats de ces associations de médiatiser et pousser le parquet à ouvrir une information et faire désigner un juge d’instruction, ce qui est très rare maintenant. C’est une évolution des pratiques ».
Des indemnisations qui se font attendre. La lenteur du système judiciaire condamne les victimes à attendre de longues années, au-delà de dix ans, avant d’espérer toucher des indemnités. Là encore, pour Marie-Odile Bertella-Geffroy, c’est une question de société qui se pose.
Ecoutez Marie-Odile Bertella-Geffroy, juge d’instruction spécialiste des dossiers de santé publique : « Est ce qu’on veut une société assurantielle ou une société de responsabilités ? Il faudrait les deux. »
« Arriver à l’indemnisation, c’est un parcours long et incertain », résume Alain-Michel Ceretti, amer. Pour les victimes des prothèses PIP, les indemnités pourraient ne pas être là du tout : l’organisme certificateur du gel des prothèses PIP pourrait non seulement ne pas être poursuivi, mais se retrouver sur le banc des victimes. Du coup, il ne resterait personne de solvable pour indemniser les victimes. « Tout le monde se renvoie la balle, soupire Murielle Ajello. Nous demandons simplement à ce qu’on l’on indemnise notre prise en charge, alors que beaucoup attendent de se faire opérer faute de moyens. »