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Spécificité française

Repas de fêtes : la crise de foie n'existe pas

Par Dr Eric Du Perret

Dans les lendemains de réveillons qui déchantent, les Américains disent qu’ils ont mal au cœur et les Anglais qu’ils ont l’estomac à l’envers. Les Français eux invoquent une crise de foie.

alexraths/Epictura

Dans les lendemains de réveillons qui déchantent, les Français pensent souvent souffrir d'une crise de foie. Face aux symptômes provoqués par des excès de table, les médecins parlent plutôt d’indigestion. C'est en fait tout le système digestif, dont l'estomac et le foie, qui peut avoir du mal à faire face aux agapes de réveillon. Mais c’est vrai que, lorsque tout va mal, on aime bien trouver un coupable. Alors, en France, après le foie gras en vedette, c’est le foie tout court qui endosse la responsabilité du malaise.

Organe "princier"

Il s'agit là d'une véritable injustice car, celui que les médecins surnomment le « prince de l’organisme », est capable d’encaisser les pires tourments sans se plaindre. Schématiquement le foie détruit à 80 %, continue à fournir la presque totalité de sa besogne. Mais, malade à 81 %, c’est la mort inexorable en l’absence d’une greffe.

Ce travailleur de l’ombre possède une propriété étonnante : il est capable de se régénérer. Si l’on greffe une portion, un quart par exemple, quelques mois plus tard, c’est sur un foie entier que l’on peut compter. Plutôt une bonne nouvelle dans un pays où précisément, en dehors des réveillons, on ne ménage pas son foie. Car cet organe, le plus volumineux de notre corps, à défaut d’être le plus lourd (le plus lourd c’est la peau et non pas le cerveau), est une véritable usine chimique, qui garantit le fonctionnement de tous les autres organes. D’où le verdict de mort lorsqu’il ne fonctionne plus.

L'alcool, le pire ennemi

Qui dit « usine » dit d’abord traitement des déchets en particulier toxiques. C’est pourquoi en cas d’intoxication médicamenteuse ou alimentaire, c’est d’abord le foie qui « trinque ». Trinquer est d’ailleurs le bon mot car son principal ennemi est l’alcool, qui détruit les cellules hépatiques avec lenteur certes, mais efficacité, pour aboutir à une maladie qui a longtemps fait partie de notre patrimoine médical : la cirrhose. Dans cette maladie les cellules détruites sont remplacées par une matière fibreuse. Celles qui restent tentent de se régénérer mais n’ont pas la force pour le faire autrement que de façon anarchique et inefficace.

Le foie est également un haut lieu de stockage d’éléments essentiels comme le sucre, le fer ou les sels minéraux. Le stockage dans le foie, c’est à l’extrême ce que l’on appelle, chez le canard ou l’oie, le foie gras, qui n’est rien d’autre qu’une autre forme de cirrhose provoquée artificiellement chez l’animal par gavage.

Deux litres de bile

La tradition associe avec justesse jaunisse et maladie de foie. Notre sang, comme tout le reste du corps, vieillit. Les globules rouges ne sont pas éternels et c’est le foie qui doit nous en débarrasser. Ceci se fait par l’intermédiaire de la bile. En cas de maladie du foie, l’épuration se fait mal, le niveau de ces substances de dégradation contenu dans notre sang augmente, ce qui colore notre peau en jaune. Mais, heureusement, la nature reprend presque toujours le dessus. Et bon an, mal an, ce sont deux litres de bile que nous sécrétons chaque jour pour qu’à chaque repas notre digestion, en particulier celle des graisses, soit harmonieuse.

Alors, même si notre foie est presque éternel, ce n’est pas une raison pour ne pas le respecter au même titre que l’on protège son cœur, que l’on réchauffe ses articulations, ou que l’on exerce sa mémoire. Se mettre au régime ce n’est pas seulement pour améliorer sa ligne mais pour laisser un petit peu souffler le « petit prince ». Il faudra y penser dans quelques jours, car toutes les potions miracles en vente libre dans les pharmacies ou prescrites par les médecins pour aider le « passage » des fêtes ne sont que des leurres inutiles.