ENQUÊTE - Marine Le Pen est à son plus haut niveau dans les intentions de vote des fonctionnaires hospitaliers. Exaspérés, aide-soignants et infirmiers sont séduits par le discours.
Face à l’afflux important de malades grippés à l'hôpital, la ministre de la Santé a récemment reconnu que les services d’urgences étaient « aux limites de leurs capacités ». Le nombre d’hôpitaux à se déclarer « en tension » est en effet rapidement passé de 142 à 192. Puis la ministre de la Santé a subitement indiqué que la « pression » s'était un peu « relâchée ». Grâce à la mise en place de ses mesures d'urgence. Mais ces mots rassurants, certains personnels hospitaliers ont du mal à les entendre.
C'est le cas de Sabrina Aurora, jeune interne en médecine de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). Membre du Parti de Gauche, cette future praticienne juge que l'action de la ministre durant l'épidémie de grippe se limite à « une opération de communication ». Sa vidéo publiée sur YouTube le 12 janvier est un carton sur la web. Elle a déjà dépassé les 8 millions de vues sur le réseau social Facebook. Dedans, elle tance avec humour la locataire de l'avenue Duquesne (Paris) : « Coucou Madame Touraine, c'est encore moi, c'est l'interne ... Alors comme ça on se fait un petit plan com' autour de la grippe ! Mais c'est tous les jours l'état d'urgence à l'hôpital Mme Tourraine ! Allez j'vous raconte! ».
S'en suivent des récits sur les conditions de travail chaotiques de ses collègues à l'hôpital. Des infirmières à qui l'on demande toujours plus, mais avec toujours moins de moyens et moins de personnel.
Cette cocotte minute hospitalière serait sur le point d'imploser. L’origine du problème est connue. Il est dû à la pression financière qui augmente dans les services hospitaliers. La présidente de la Coordination Nationale Infirmière (CNI) regrette que les chefs d’établissement n’aient désormais les yeux rivés que sur des lignes budgétaires. Face à cette situation intenable pour des professionnels de santé, 13 organisations d’infirmières manifesteront le 24 janvier dans la capitale. Mais il y a déjà eu un coup de semonce.
Le 8 novembre dernier, pour la première fois depuis près de trente ans, 18 organisations infirmier.e.s s'étaient uni(e)s pour dénoncer la dégradation des conditions de travail, d'études et de rémunérations auxquelles la profession fait face . Un même mouvement de colère et de ras-le-bol sur lequel le Front National (FN) espère bien surfer. Marine Le Pen est même en pleine opération séduction auprès des fonctionnaires hospitaliers.
Du carburant à l'hôpital
Sociologue de l’hôpital, Frédéric Pierru commente : « Le Front National a rompu avec une forme de Thatchérisme et d’ultra-libéralisme défendus autrefois par Jean-Marie Le Pen. Avec l’arrivée de Florian Philippot, il se présente désormais comme le seul parti de défense de l’état providence et des services publics, et donc de l’hôpital ». Pour le reste, Marine Le Pen n'a qu'à laisser le sentiment de déclassement des fonctionnaires faire son travail. « Et à l’hôpital, elle a du carburant », estime le politiste.
La tâche est d’autant plus aisée pour la candidate FN, qu'à côté d'elle dans les sondages, François Fillon inquiète les fonctionnaires. Rappelons que l'ancien Premier ministre envisage la suppression de 500 000 d’entre eux pendant son quinquennat. Cette mesure et d’autres sont qualifiées de « fonctionnaire bashing » par certains membres de la profession, comme Simon Taland, secrétaire général du Syndicat National des Infirmiers Anesthésistes (SNIA). La dernière enquête du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevifop), publiée il y a quelques jours, apparaît donc comme une surprise. Elle montre que François Fillon obtient ses meilleurs résultats dans les catégories B (celle des infirmières) et C de la Fonction Publique Hospitalière (FPH) avec respectivement 25 % et 22,7 % des intentions de vote. Durant la Primaire de la droite, il avait aussi promis de faire travailler plus les fonctionnaires, mais sans gagner plus. C'est étonnant mais les fonctionnaires de l'hôpital ne lui en tiennent visiblement pas rigueur. Sauf que Marine Le Pen fait encore mieux.
Simon Taland, secrétaire général du SNIA : « Moi quand je travaille le week-end je suis payé comme un autre jour. C'est insupportable tout ce fonctionnaire bashing...»
Marine Le Pen fait un tabac dans la catégorie C
La virage très à droite de cet électorat est en effet en marche. Toujours d'après les chiffres du Cevifop, la présidente du FN est à son plus haut niveau dans la catégorie C de la Fonction Publique Hospitalière (FPH) avec 29 % d’intentions de vote. C’est donc la première des sondages dans ce pan de la FPH, composé notamment d’aide-soignants. Ses parts de voix ont doublé comparées à 2012. La tendance semble être la même chez les infirmières et l'ensemble des personnels en bas de la hiérarchie hospitalière.
Mais ces chiffres n’étonnent pas les responsables syndicaux de la profession. Simon Taland évoque même une libération de la parole dans ses rangs. Certains de ces propos l’ont profondément choqué.
« Les attentats ont été traumatisants pour tout le monde, y compris pour les hospitaliers. Dans des salles de repos, j’ai entendu cette année des remises en question du multiculturalisme en France et de l’immigration. D’autres collègues ont carrément pointé du doigt les comportements déviants de certaines personnes issues d'autres pays qui ne voudraient pas s’intégrer ». Autant d’amalgames que l’on n’entendait pas avant, selon lui. Et ce discours bénéficie en plus de relais dans les couloirs des hôpitaux.
Les maux de l’hôpital s'aggravent
La partie émergée de l’iceberg FN à l’hôpital est aujourd’hui représentée par le « Collectif des Usagers de la santé ». Créé il y a moins d’un an par Marine Le Pen, il a pour mission de « définir une politique de santé au service de tous les Français ». Celle-ci passe entre autres par une remise à plat du système hospitalier. Et face au désarroi des personnels hospitaliers, le FN ne ménage pas ses moyens. Parmi les cinq membres fondateurs du Collectif, on note la présence de deux anciens PH et d’un chirurgien maxillo-facial en exercice au CHU de Toulouse (Haute-Garonne).
Ce dernier, le Pr Franck Boutault, raconte ce qui l’a poussé dans les bras du FN. Militant gaulliste dans sa jeunesse, il avoue être « très très affolé par l’invasion migratoire ». « Elle est visible jusque dans nos salles d'attente. Cela me choque profondément », ajoute-t-il. Mais pour ce médecin, le drame actuel de la France est le chômage. « Je vois aussi tous ces jeunes travailleurs pauvres qui viennent se faire soigner à l’hôpital car ils n’ont pas d’autres options », déplore-t-il. Exaspéré également par ses conditions d’exercice, il dévoile la stratégie de son collectif. « Ce n’est pas l’attaque frontale. Elle ne marchera pas. Et il y a une éthique, même dans le combat politique. L’hôpital doit rester un lieu sanctuarisé », précise-t-il. Le Dr Boutault indique plutôt que le Collectif a vocation a faire des petits de manière décentralisée. Des collectifs FN dans toutes les régions sanitaires devraient donc bientôt voir le jour. « Dedans, des intervenants des hôpitaux publics seront associés à ceux du privé », souligne-t-il. Les militants du FN ont donc l’intention de ratisser large pour la présidentielle de 2017. Il faut dire qu'à eux seuls les infirmières et infirmiers des hôpitaux publics représentent plus de 320 000 électeurs (DREES).
Beaucoup d'entre eux n'ont plus confiance dans les autres partis politiques. C'est le cas du Pr Franck Boutault : « Droite et gauche, ce sont les mêmes objectifs, faire plus avec le moins d’argent possible », déplore le praticien hospitalier. Aujourd'hui, mettre un bulletin FN dans l’urne est carrément devenu un vote d’adhésion pour ce médecin exaspéré. Au même titre que Julien, 35 ans. Cet ancien infirmier de gauche a rejoint le rang des sympathisants du Front National (FN). Dégouté par les autres formations politiques, il pense que seul le FN peut sauver l'hôpital et la Sécurité Sociale. Dans l'attente, il s'est reconverti dans l'exercice libéral, préférant fuir les conditions d'exercice très pénibles dans les établissements de santé.
Des résistances s'organisent à l'hôpital
Enfin, face à l’entrée du Front National à l’hôpital, la résistance s’organise, d'après les responsables du parti. Les directeurs d’hôpitaux, par exemple, interdisent encore à Marine Le Pen d’y pénétrer, ne serait-ce que pour des visites, confie le Pr Boutault. De plus, malgré leur perte d’influence, les syndicats traditionnels (Sud, CGT, etc.) tentent encore de faire passer un discours habituellement de gauche (défense des 35 heures, etc.)
Et celui-ci a encore une oreille attentive dans la profession. Les jeunes plus enclins à dénoncer le programme du FN y sont par exemple plus sensibles. Dans un récent article, Clément Gautier, président de la Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers (FNESI) écrivait ainsi « les organisations étudiantes se devront d'être le rempart face aux discours obscurantistes et démagogiques ». Contacté par Pourquoidocteur, il précise toutefois qu’il ne citait « aucun parti politique de manière direct » mais ne nie pas non plus que le Front National pourrait être visé par ce propos. Le jour de la grande manifestation du 8 novembre, il n’hésitait pas aussi à partager le tweet de soutien de Jean-Luc Mélenchon aux personnels de la santé et du social, « qui dénoncent aujourd'hui coupes budgétaires et conditions de travail ».
Dans l’enquête Cevifop, ce dernier a d’ailleurs atteint son plus haut niveau dans la catégorie B de la FPH avec 21,3 % d’intentions de vote. Mais aussi son niveau le plus bas dans la catégorie C de cette même FPH avec 13,7% des intentions de vote, « ce qui en dit long sur l’homogénéité des valeurs au sein du système de santé publique », note ironiquement le Centre. Face à la crise traversée par leur profession, les fonctionnaires de l’hôpital semblent tout simplement désorientés. Et les candidats à la présidentielle l’ont compris puisqu’ils parlent de plus en plus de santé lors des débats politiques. Mais peut-être est-il déjà trop tard...