C’est l’une de ces inepties dont seuls les législateurs ont le secret. Alors que les experts de toute part appellent à réviser la loi de 1970 qui condamne l’usage et la détention de stupéfiants afin de pouvoir, enfin, traiter les enjeux sanitaires de la consommation de cannabis en France, un amendement fraîchement adopté au Parlement a laissé plus d’un observateur perplexe.
L’article 119 de la loi Egalité et Citoyenneté stipule en effet qu’une personne condamnée pour acquisition, transport ou détention de stupéfiants pourra se voir résilier son bail locatif et expulser de son logement. Le texte vise aussi toutes les personnes qui vivent dans ce logement. Ainsi, un colocataire, des parents ou des enfants pourront également être expulsés si l’un des occupant du logement fait l’objet d’une telle condamnation. Cette résiliation peut avoir lieu « de plein droit », c’est-à-dire sans le pouvoir d’appréciation d’un juge.
"Favoriser la réflexion"
Au-delà de l’efficacité contestable de cette mesure sur le plan sanitaire et sécuritaire, on peut s’interroger sur sa constitutionnalité. C’est d’ailleurs sur ce point que les Sages se penchent actuellement, alors que des parlementaires ont saisi le Conseil Constitutionnel sur plusieurs articles de la loi Egalité et Citoyenneté, dont le 119.
A cette occasion, plusieurs associations (ASUD, AIDES, Médecins du Monde, Droit au Logement) ainsi que le Syndicat de la Magistrature ont émis un communiqué commun listant plusieurs remarques sur cet « objet constitutionnel non identifié », et ce, afin de « favoriser la réflexion » du Conseil Constitutionnel, explique Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la Magistrature.
En effet, la mesure risque de poser plusieurs problèmes, à commencer par l’ampleur de la population qu’elle vise. La France compte 1,4 million de fumeurs réguliers et plus de quatre millions de fumeurs « actuels » (qui ont consommé dans le mois). Le texte ne vise pas les inculpations pour usage (consommation) de stupéfiants, lesquelles relèvent du code de la santé publique. Il se concentre sur la détention, l’acquisition et le trafic, sachant que la loi française ne distingue pas les uns de l’autre : posséder deux grammes de cannabis peut être assimilé à du trafic.
Droit au logement
Sur le plan législatif, « cet article remet indéniablement en cause l’objectif constitutionnel du droit au logement décent. Cette condamnation automatique et arbitraire s’appliquerait aux locataires et aux occupants indistinctement, car l’article vise l’ensemble d’une famille ou d’une colocation et le bail peut être résilié même si le locataire n’est pas concerné par la condamnation ou qu’il n’en a pas connaissance », expliquent les auteurs du communiqué.
Par ailleurs, la loi s’applique pour des condamnations antérieures au début du bail . « Combien de foyers seraient concernés par cette mesure ? Faudrait-il dorénavant exiger de son futur colocataire un extrait de casier judiciaire ou encore le soumettre à son propriétaire ? », s’interrogent les auteurs.
Cette mesure constituerait une réponse « pour le moins inefficace aux nuisances induites par les trafics de stupéfiants : l’expulsion d’une personne n’empêche nullement les activités illicites de se poursuivre dans un lieu où les réseaux sont implantés et qui sont d’ailleurs de plus en plus tenus par des personnes non résidentes du lieu de trafic pour des raisons de rentabilité ».
Usagers marginalisés
Enfin, le texte risquerait de criminaliser et de marginaliser des usagers de drogues, notamment ceux qui ont développé des troubles, qu’il faut au contraire intégrer pour les traiter. « Cette mesure aurait un impact très grave sur les parcours de soins des personnes souhaitant se réinsérer, particulièrement après une condamnation. Avoir un logement stable est une condition essentielle pour obtenir des droits qui permettent l’accès aux soins ».
Pour toutes ces raisons, les signataires de ce texte demandent au Conseil Constitutionnel d’invalider l’article 119 de la loi. Les Sages ont jusqu’à la fin du mois pour rendre leur décision.