Notre assiette nous veut-elle du mal ? Difficile de ne pas la regarder avec défiance alors que pesticides, perturbateurs endocriniens et autres molécules chimiques s’invitent dans notre alimentation. Et les conclusions d’une étude de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) publiées ce vendredi dans Scientific Reports ne vont pas calmer cette inquiétude : l’additif alimentaire E171, retrouvé notamment dans les bonbons, est capable de traverser la paroi de l’intestin, perturber le système immunitaire et d'induire des lésions précancéreuses chez le rat.
Au regard de ces résultats, les ministères chargés de l’économie, de la santé et de l’agriculture ont décidé de saisir immédiatement l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) afin de déterminer si cette nanoparticule « présente un éventuel danger pour les consommateurs ».
Déjà à Halloween, une étude de l’association Agir pour l’environnement avait alerté le grand public sur cette substance, le dioxyde de titane. Couramment utilisée en agroalimentaire pour ses propriétés de colorant blanc et opacifiante, les tests de l’association l’avaient mis en évidence dans des biscuits, confiseries, chewing-gum ou encore des plats préparés. Cette nanoparticule est aussi utilisée en cosmétique, dans des compléments alimentaires et dans les matériaux de construction, ajoute l’Inra.
Le Centre international de rechercher sur le cancer (CIRC) avait d’ailleurs classé la substance cancérogène possible pour l’homme après avoir étudié l’impact d’une exposition par inhalation, notamment dans le cadre professionnel. En revanche, l’Europe ne semble pas préoccupée. En septembre dernier, l’Agence européenne de sécurité alimentaire a conclu que « les données toxicologiques disponibles sur le dioxyde de titane n’ont pas révélé d'effets indésirables par ingestion orale » et qu’elle « ne constituait pas un problème de santé pour les consommateurs ».
Inflammation et lésions précancéreuses
Pourtant, les consommateurs sont bien préoccupés par ce produit, d’autant que les enfants semblent particulièrement exposés en raison de leur forte consommation de confiseries. L’Inra a donc choisi de se pencher sur l’effet d’une exposition orale au E171 chez le rat. Les chercheurs ont exposé ces animaux à une dose de 10 mg par kilogramme de poids corporel et par jour, soit une dose proche de celle ingérée par les humains, selon les scientifiques. Les résultats « montrent pour la première fois in vivo que le dioxyde de titane est absorbé par l’intestin et passe dans la circulation sanguine », décrit l’Inra, précisant que des particules ont été détectées dans le foie des cobayes.
En outre, les chercheurs ont noté la présence du E171 dans les cellules de l’intestin grêle et du côlon, ainsi que dans des cellules situées dans une région inductrice de réponse immunitaire dans l’intestin. Résultat : un déséquilibre immunitaire se met en place et suscite une micro-inflammation dans la muqueuse du côlon. De même, dans la rate – un organe clé dans le système immunitaire -, l’exposition à cet additif alimentaire favorise la production de molécules pro-inflammatoires.
L’ingestion régulière de cette substance semble tout aussi néfaste. Pendant 100 jours, des rats ont été exposés à cette molécule via leur eau de boisson. Dans un groupe préalablement traité par un cancérogène, l’exposition au dioxyde de titane a augmenté la taille des lésions prénéoplasiques dans le côlon, un stade non malin du développement du cancer.
Dans un groupe de rats sains, des lésions précancéreuses sont apparues spontanément chez 4 cobayes sur 11, tandis que les animaux non exposés n’ont présentés aucune trace de cancer. « Ces résultats indiquent un effet initiateur et aussi promoteur du E171 sur les stades précoces de la cancérogènes colorectale chez l’animal », relèvent ainsi les auteurs.
Des résultats fin mars
Si « à ce stade, les résultats de l’étude ne permettent pas d’extrapoler ces conclusions à l’homme », insistent l’Inra et le ministère de la Santé, les chercheurs de l’unité de recherche Toxalim indiquent que ces premiers résultats justifient des études supplémentaires pour étudier ses effets sur le système immunitaires et son pouvoir cancérogène. « Ils fournissent aussi de nouvelles données pour l’évaluation du risque de l’additif E171 pour l’Homme », ajoutent-ils.
Saisie de cette question, l’Anses devrait rendre ses résultats fin mars. Cette nouvelle étude s’inscrit dans le cadre des travaux de l'Agence déjà engagés sur l’impact potentiel sur la santé des nanomatériaux présents dans l’alimentation de manière plus générale, à la demande du gouvernement en octobre dernier.