Les professionnels du vin veulent bien faire de la prévention, mais discrètement, sans trop de bruit ni de fracas. Ainsi, quand il s’agit d’augmenter, sur les bouteilles, la visibilité du logo qui met en garde les femmes enceintes sur les risques liés à la consommation d’alcool pendant la grossesse, l’industrie du vin fait la moue.
Les professionnels du secteur sont en effet vent debout contre un décret interministériel en cours de rédaction. Le gouvernement souhaiterait agrandir la taille du logo d'avertissement destiné aux femmes enceintes, inscrit sur les bouteilles d'alcool.
"Noyé dans le packaging"
Selon la Fédération des grands vins de Bordeaux (FGVB), qui a révélé l’information, le logo instauré en 2006 verrait ainsi sa taille doublée. L'avertissement en question est un pictogramme représentant une femme enceinte dans un cercle barré. Aujourd’hui, il mesure environ 0,5 cm mais aucune taille n’a été fixée par la réglementation ; il doit simplement être « lisible ». L’avertissement peut aussi consister en un message écrit, qui rappelle que « la consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l'enfant ».
Le gouvernement souhaite donc « améliorer la lisibilité et la visibilité du pictogramme de prévention relatif à la consommation d'alcool pour prévenir le syndrome d'alcoolisation fœtal afin qu'il ne soit pas noyé dans le packaging des unités de conditionnement », selon un relevé de décisions du Comité interministériel du handicap daté du 2 décembre 2016, au cours duquel cette décision a été prise.
L'efficacité mise en cause
De leur côté, les viticulteurs dénoncent une « inflation de normes » qui pèse sur la compétitivité des vins, pour une retombée sanitaire non prouvée, estiment-ils. Ils regrettent ainsi une « mesurette » « cosmétique » d'autant moins justifiée qu'« il n'y a pas eu de mesure objective de l'impact du logo » instauré il y a dix ans sur la santé, selon la FGVB qui s’exprime dans un communiqué.
Toutefois, les données scientifiques ne corroborent pas ces propos. Une étude menée par l’Inpes (Institut national de prévention et d'éducation pour la santé, devenu Santé Publique France) montre que la recommandation de non-consommation d’alcool pendant la grossesse était mieux connue en 2007, après le passage du logo, qu’en 2004 (87 % des enquêtés contre 82 %). En 2007, 30 % des sondés estimaient que le risque pour le fœtus existe dès le premier verre, contre 25 % en 2004.
Par ailleurs, selon une analyse menée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), les avertissements sanitaires ont un bel et bien un impact sur les comportements. Dans le tabagisme, ils démontrent leur efficacité sur la perception des risques et sur l'attractivité des produits. Aux Etats-Unis, où ces messages sanitaires sont absents ou trop peu visibles, 650 000 décès pourraient être évités dans les cinquante prochaines années si les autorités imposaient l’affichage d’avertissements visibles sur les paquets de cigarettes, selon l’OMS.
L'impossible autorégulation
Pour autant, pour Vin et Société, structure qui défend les intérêts de 500 000 acteurs de la vigne et du vin en France, le projet de décret est une « réponse inadéquate à un véritable enjeu de santé publique ». Vin et Société rappelle dans un communiqué la position « tout à fait claire » de la filière : « l'absence totale de consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse est de rigueur. »
Malgré cette manifestation de bonne foi, on peut douter de la capacité de la filière à s’autogérer en matière de prévention des risques sanitaires liés à l’alcool. Une étude publiée au début du mois dans la revue Addiction démontrait ainsi que « l’auto-régulation par les alcooliers de leur marketing est un écran de fumée qui vise à empêcher la mise en place de solutions réellement efficaces pour la protection des populations », comme le résumait l’ANPAA (l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie) sur son site