« Nous devons tout mettre en œuvre pour améliorer la pharmacovigilance », « la pharmacovigilance doit être mise à plat » … En pleine effervescence médiatique autour des pilules de 3e et 4egénérations, Marisol Touraine a multiplié les déclarations sur ses intentions de réforme du système de surveillance des effets indésirables des médicaments. Comme son prédécesseur Xavier Bertrand aux prises avec l’affaire Mediator, la ministre de la Santé reproche à la pharmacovigilance d’être « un système trop opaque et trop lent ».
En France, la surveillance des effets indésirables des médicaments repose sur 31 centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) situés au sein des hôpitaux. Des pharmacologues, médecins et pharmaciens, y reçoivent et analysent les déclarations d’effets indésirables transmises par les professionnels de santé, les industriels du médicament en cas d’effet grave et par les patients eux-mêmes depuis l’été 2011.
9 effets indésirables sur 10 non déclarés
Le défaut principal du système est identifié de longue date : il est très loin d’être exhaustif. Même si l’affaire Mediator a fait nettement augmenter le nombre de déclarations, près de 90% des effets indésirables liés au médicament ne seraient pas déclarés par les médecins qui en ont pourtant l'obligation.
Les explications avancées sont multiples : manque de temps, non perception de l’intérêt de déclarer des effets indésirables déjà inscrits dans les notices des médicaments, crainte de retombées négatives pour le médecin lui-même …
Tous ces facteurs concourent à la situation actuelle : Le 11 janvier, le directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament, s’appuyant sur les données de pharmacovigilance, attribuait aux pilules toutes générations confondues 567 événements indésirables graves (embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde ou accident vasculaire cérébral) et 13 décès par accidents thromboemboliques depuis 1985. Trois jours plus tard, citant une étude menée au CHU de Brest, à partir des données d’activité des hôpitaux, le Figaro évoque 47 cas d’effets indésirables graves et 2 décès chez des jeunes femmes entre 15 à 25 ans pour la seule région Bretagne entre 1998 à 2012.
Faut-il alors abandonner l’actuel système déclaratif pour une méthode de surveillance fondée sur les données d’activité hospitalière ? Tous les experts s’accordent sur l’importance de conserver un système déclaratif même imparfait pour identifier les signaux d’alerte sur tel ou tel médicament.
Aller plus loin que la surveillance passive
Mais certaines voix commencent à réclamer qu’on ne se contente pas d’attendre les signaux. Dans un entretien récent à pourquoidocteur, le pharmacologue Bernard Bégaud, qui dirige une unité de recherche Inserm consacrée à l’évaluation du risque d'utilisation des produits de santé, réclamait qe l'on « donne les moyens à la pharmacovigilance de devenir pro-active, d’aller sur le terrain au devant des problèmes avant qu’ils ne deviennent des crises ».
Pour Christian Riché, responsable du Centre régional de pharmacovigilance de Brest, la pharmacovigilance doit évoluer en intégrant davantage les études tirées des bases de données hospitalières dans son mode de fonctionnement. « Pas à la place du système d’alerte, en complément, insiste le spécialiste brestois. Pour pouvoir mener des études à grande échelle quand on se pose des questions sur un médicament ».
Pour Didier Sicard, professeur de médecine à l’Université Paris Descartes et président d’honneur du Comité consultatif d’éthique, la situation française est des plus paradoxales : « Nous disposons d’une des bases de données de santé les plus riches qui soient, celle de l’Assurance Maladie qui enregistre tous les médicaments remboursés, et elle ne sert pas la collectivité car elle n’est pas ou beaucoup trop peu utilisée à des fins d’études pharmacoépidémiologiques ».
Ecoutez le Pr Didier Sicard, président d’honneur du Comité consultatif d’éthique : « Suivons l’exemple anglais, l’Assurance Maladie pourrait vendre ses données anonymisées »
Faire appel aux bases de données hospitalières ou à celle de l’Assurance Maladie pourrait donc permettre de compléter le système de surveillance actuel. Mais surveiller n’a jamais suffi à éviter la survenue des problèmes. « Le fait que les pilules exposaient à un risque d’accidents thromboemboliques et que celui-ci était légèrement accru avec la 3e génération a été dit et écrit à plusieurs reprises dans la littérature scientifique et par les pharmacovigilants », souligne Elisabeth Autret-Leca. Cette pédiatre de formation a longtemps dirigé le CRPV de Tours, avant de prendre récemment la vice-présidence de la commission de la Transparence (l’instance de la Haute autorité de Santé qui juge du service médical rendu par un médicament et détermine ainsi s’il y a lieu de le rembourser).
Cette commission préconisait déjà aux médecins en 2007 de ne pas prescrire d’emblée en 1e intention les pilules de 3e et 4egénération. Une recommandation dont ni les politiques ni les médecins n’ont fait grand cas si l’on en juge par l’envolée des prescriptions de ces pilules. « Le système de pharmacovigilance est perfectible, c’est une évidence, reconnaît volontiers le Pr Autret-Leca. Mais ce n’est pas en pointant systématiquement un défaut de surveillance qu’on va s’attaquer au cœur du problème : les médecins français ne sont pas correctement formés sur le médicament ». Est-ce là l'explication à la sous-notification des effets indésirables, aux 2,5 millions de Françaises sous pilule de 3e et 4e génération en dépit des recommandations et aux 60% de prescriptions de Diane 35 comme contraceptif, autrement dit en dehors de son AMM de médicament contre l'acné ? A Marisol Touraine de juger s’il est préférable de changer de thermomètre ou de s’attaquer aux causes de la fièvre.