À moins d’un mois de l’ouverture de la négociation de la convention quinquennale des pharmaciens, les professionnels d’officine mettent la pression sur l’Assurance maladie et le gouvernement. Ils étaient en grève ce 26 janvier, afin d’alerter sur la dégradation de leurs revenus, et sur les fermetures d’officines qui seraient, selon les syndicats, dues à un recul des recettes.
Gilles Bonnefond, le président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), dénonce la voie que prend la pharmacie d’officine. Avec l’ensemble de la profession, il demande un changement profond du mode de rémunération des pharmaciens.
Quels sont les points qui ont motivé la grève ?
Gilles Bonnefond : Les pharmaciens sont les seuls professionnels de santé pour lesquels la rémunération baisse. Notre marge a diminué de 3 % depuis 2 ans, et les perspectives nous promettent du sang et des larmes pour les années à venir. Avec la baisse du prix des médicaments souhaitée par les gouvernements, nos marges baissent aussi. Nous endossons de plus en plus un rôle de logisticiens. Actuellement, 28 % des ordonnances que nous traitons nous rapportent une rémunération inférieure à 2,50 €. Ce n’est pas admissible, car nous n’avons pas fait 6 ans d’études pour être des distributeurs de boîtes ! Nous expliquons les traitements, aidons à leur suivi, informons sur les questions de sécurité. Parfois même, dans les campagnes, nous offrons des services à domicile, quand les patients ne peuvent pas se déplacer. Et rien de tout cela n’est rémunéré, même pas en indemnités kilométriques. Si on veut maintenir le maillage que représentent les officines sur le territoire national, il ne faut pas laisser la situation se dégrader.
Comment pourrait-on y remédier ?
Gilles Bonnefond : Il faut qu’on puisse travailler autrement, pour être capables d’organiser la coordination avec le reste du système médical. Le pharmacien est un professionnel de santé comme les autres, mais est traité différemment. Nous souhaitons une revalorisation des honoraires à l’ordonnance, et passer à terme à une rémunération à l’acte, plutôt qu’à la marge. Nous avons bien conscience que c’est très compliqué à mettre en place, mais il faut aller dans cette direction.
Les Anglais, les Canadiens, les Belges ou les Suisses adoptent déjà un mode de fonctionnement similaire. Nicolas Revel (le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie, ndlr), que j’ai rencontré ce midi, est bien conscient de nos difficultés, qu’il voit d’ailleurs aussi dans ses chiffres. J’espère que nos revendications auront une oreille attentive. Mais il faut que les politiques s’accordent, entre le gouvernement et l’Assurance maladie, qui s’amusent souvent à donner d’un côté et siphonner de l’autre.
Quelle est la suite des opérations ?
Gilles Bonnefond : Je suis déjà satisfait de cette journée d’action, qui a mobilisé les pharmaciens dans la France entière. Les informations préliminaires que je reçois des départements et des régions semblent indiquer une forte mobilisation, et une écoute des CPAM et des Agences régionales de santé (ARS). Les médias, également, se sont intéressés à nos revendications, car c’est un sujet qui concerne forcément tous les patients. Personne ne veut voir la pharmacie du coin disparaître.
Nous allons revoir M. Revel le 2 février, afin d’établir les points de départ de la négociation quinquennale. Nous espérons pouvoir commencer à imaginer cette nouvelle stratégie de dispensation et d’accompagnement des patients, pour un début d’application dès 2018.
D’autres mesures seront-elles discutées ?
Gilles Bonnefond : Pour 2017, nous espérons aussi des gestes de la part de l’Assurance maladie, qui serait un ballon d’oxygène pour les pharmaciens. Je pense en particulier à une simplification des règles de prescription, qui deviennent incompréhensibles. Personne ne les respecte vraiment car nous les connaissons mal, et cela nous met parfois en porte-à-faux avec la législation.
Nous aimerions également que les médicaments qui ne sont pour l’instant dispensés qu’en pharmacie d’hôpital, soient aussi vendus dans les officines. Certaines chimiothérapies, les médicaments contre l’hépatite C ne sont par exemple pas disponibles. Ils nécessitent des protocoles de soins précis, c’est vrai, mais il n’y a pas de raison que les patients soient contraints de se rendre systématiquement à la pharmacie de l’hôpital pour se les procurer. Aujourd’hui, 30 % du chiffre d’affaires des laboratoires est effectué en milieu hospitalier. Ce glissement nuit à nos officines.
Nous souhaitons aussi un arbitrage immédiat sur la volonté affichée des laboratoires fabriquant les nouveaux dispositifs de contrôle du diabète de vendre directement aux patients. En plus de court-circuiter le réseau de pharmaciens, ces ventes permettraient aux industriels d’avoir un fichier des diabétiques européens. C’est quelque chose de choquant !