L’association d’entraide la plus connue du grand public s’appelle les Alcooliques anonymes. Tout est dit. La maladie taboue dont on doit souffrir en silence en espérant échapper au regard souvent moralisateur de notre société. En même temps, la force du groupe pour s’en sortir, le lien tissé entre anciens malades et nouveaux dépendants et des milliers d’expériences vécues qui sont un matériau des plus précieux pour les chercheurs spécialistes de l’addiction à l’alcool.
A l'occasion des 6e rencontres nationales Recherche et Associations de malades organisées ce jeudi au Sénat par l'Inserm en partenariat avec pourquoidocteur, nous avons souhaité « croiser » les regards des scientifiques et des représentants des malades sur l'évolution de leurs rapports.
Deuxième exemple, le groupe de travail Alcool de l’Inserm qui regroupe depuis 2006 des chercheurs en alcoologie et les représentants de 6 associations d’entraide nationales : les Alcooliques Anonymes, Alcool Assistance, la Croix bleue, le mouvement Vie libre, la Fédération nationale des amis de la santé et Alcool écoute, joie et santé. Un partage de connaissances entre les avancées de la science et le vécu de terrain qui entend s’inspirer des pionniers du Sida, autre maladie taboue devenue modèle de partenariat entre patients et chercheurs.
pourquoidocteur : Quel était l’objectif recherché lors de la mise en place de ce groupe de travail commun en 2007 ?
Bertrand Nalpas, médecin alcoologue et directeur de recherche Inserm à Nîmes : L’alcoolisme est une pathologie extrêmement variable. Pour mieux la comprendre, les témoignages de patients sont d’autant plus précieux que la maladie reste très taboue. Or les lieux de soins ne voient passer qu’une toute petite partie des malades à la différence des associations d’entraide auxquelles ils se confient en majorité. Dans ce groupe de travail, on est plus du tout dans le soin. Il n’y a pas de blouse blanche, on ne parle pas d’un cas clinique précis. On est vraiment dans le partage d’informations pour tenter de mieux comprendre cette maladie complexe.
François Moureau, président de l’association Alcool Assistance : Nos associations, qui ont pour certaines plus de 100 ans d’existence, se sont construites sur le lien humain, sur le partage d’expériences entre les personnes qui sont sorties de la maladie alcool et celles qui sont dans la dépendance. Au départ quand l’Inserm nous a contacté, nous étions un peu sur nos gardes mais après une période d’apprivoisement en quelque sorte, nous avons vite compris cette notion de partage de compétences et nous notre compétence, c’est l’humain !
Qu’est ce que vous apporte ce partage de compétences dans votre activité ?
Bertrand Nalpas : La compétence de terrain des associations d’entraide est utile dès la conception des études. Pour les questionnaires de recherche clinique par exemple, lorsqu’ils sont conçus et validés avec les associations, le vocabulaire et le déroulé des questions sont plus adaptés donc les réponses recueillies aussi. Nous avons aussi mis en place une étude au sein même des mouvements d’entraide. En tant que clinicien, je suis persuadé de leur efficacité dans la prise en charge de la maladie alcoolique mais en tant que chercheur, il me manque les données scientifiques qui en attestent. C’est donc ce que nous sommes en train de faire, une véritable étude qui démontre l’utilité des mouvements d’entraide.
François Moureau : Comprendre les effets de l’alcool sur le cerveau, le mécanisme de la dépendance, ça nous permet d’améliorer notre accompagnement des personnes dépendantes. C’est extrêmement valorisant pour un ancien malade de pouvoir expliquer comment l’arrêt de l’alcool permet de retrouver des capacités de mémoire, de régénérer certains organes endommagés … Pouvoir ajouter ce contenu scientifique renforce notre message.
Ce partage des connaissances n'est-il pas désquilibré ?
François Moureau : Non pas du tout, c’est un des points les plus remarquables de cette collaboration. Il y a un vrai respect mutuel et une reconnaissance des compétences de chacun.
Bertrand Nalpas : Cette supériorité du scientifique et du soignant par rapport au soigné n’a plus du tout de sens. Le rapport s’est considérablement rééquilibré et dans le domaine de l’alcoolisme, il le sera de plus en plus si les associations se font entendre. Comme les autres associations de patients, elles peuvent porter le message « nous sommes aussi des victimes ». Et la science peut aider à faire entendre à la société que les personnes qui souffrent de la maladie alcoolique n’en portent pas seules la responsabilité.