« Tout n’a pas commencé dans les années 80 mais la pandémie de sida a marqué un véritable basculement dans les relations entre les associations de malades et le monde des chercheurs. Il y avait urgence à ce que tous mettent leurs compétences en commun », raconte Martine Bungener, sociologue et présidente du Groupe de réflexion avec les associations de malades de l’Inserm. L’idée a fait école ces 30 dernières années, portée notamment par les associations de lutte contre les maladies rares et chercheurs et patients ont développé des relations de plus en plus étroites.
Mais que pensent les scientifiques de ces interactions avec les malades ? 650 chercheurs de l’Inserm ont répondu à cette question à travers l’enquête CAIRNET présentée ce jeudi au Sénat dans les cadre des "6e rencontres nationales Recherche et Association de malades" organisées par l'Inserm en partenariat avec pourquoidocteur.
Résultat : 80% d’entre eux ont déjà eu des contacts avec des associations et 40% ont noué une relation suivie avec l’une d’entre elles. « On est donc désormais très loin du cliché du chercheur dans sa tour d’ivoire. Ils sont vraiment en prise avec la société », souligne François Faurisson, qui a mené cette enquête CAIRNET. Ce n’est d’ailleurs pas le seul cliché que cette étude mette à mal.
Ecoutez François Faurisson, ingénieur de recherche et coordinateur de l’étude CAIRNET : « Les chercheurs qui travaillent avec les associations ne sont pas les dilettantes à court d’idées, ce sont ceux qui ont le plus de responsabilités »
Dans leur grande majorité, ces chercheurs réfutent l’idée d’une collaboration chronophage nuisible à leurs recherches. Ils soulignent au contraire le supplément de motivation apportée par cette relation directe avec des personnes concernées au premier chef par leur sujet de recherche. « C’est important de savoir pourquoi et surtout pour qui on travaille. Notamment pour les jeunes thésards et les post-doc, rencontrer des malades donne une autre dimension à la recherche quotidienne », témoigne Eric Ogier-Denis, directeur d’une équipe de recherche sur l’inflammation intestinale en lien étroit avec l’association François Aupetit, en lutte contre les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.
L’importance des financements apportés par les associations est soulignée par les chercheurs mais davantage pour leur nature que pour leur montant. « Ce sont des financements plus audacieux que ceux des institutions. Même s’il s’agit souvent de plus petites sommes, elles permettent de débuter sur une toute nouvelle idée ou d’amorcer une carrière à travers les bourses de soutien aux jeunes chercheurs », explique François Faurisson. L’étude CAIRNET souligne d’ailleurs que la relation nouée entre l’équipe de recherche et l’association de patients n’implique qu’une fois sur deux un financement. Les chercheurs mettent plutôt en avant la qualité des informations recueillies via les associations qui apporte un véritable bénéfice à leurs recherches.
Ecoutez François Faurisson : « La parole est différente, les patients confient aux chercheurs des choses qu’ils ne disent même pas à leur médecin. »
Ce partage d’informations se fait dans les deux sens et permet aux associations de devenir de véritables médiateurs de l’information scientifique auprès des malades. « Evidemment le temps du chercheur n’est pas celui du malade et ne le sera jamais. Devoir attendre plusieurs années quand la maladie de votre enfant avance chaque jour, c’est insupportable, reconnaît François Faurisson. Mais quand on vous explique concrètement pourquoi la recherche prend du temps, comment on passe du tube à essai, à l’animal puis à l’homme, c’est inacceptable certes mais ça devient compréhensible ».
Ecoutez Martine Bungener, sociologue et présidente du Groupe de réflexion avec les associations de malades de l’Inserm : « Par ce dialogue, les chercheurs s’inscrivent dans le mouvement social qui fait sa place aux malades. »
« C’est un processus en marche, poursuit la sociologue. Mais en fonction des personnalités et des domaines de recherche, il y aura toujours des chercheurs isolés. Il n’est pas question d’obliger qui que ce soit, cette collaboration n’a de sens que si elle sert la recherche ». En revanche, elle espère voir l’institution s’adapter pour favoriser ces collaborations entre patients et chercheurs. L’évaluation annuelle des équipes de recherche par exemple ne tient pas encore compte de ce travail réalisé avec les associations, même à l’Inserm.