Cette semaine, Timothée Morteau a rendez-vous avec sa banque. Presque chaque mois, ses comptes finissent dans le rouge. « Je suis pris à la gorge », souffle ce retraité de Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis). La faute à une petite retraite et des frais exorbitants. Car Timothée n’a pas eu le choix : il a dû placer son épouse, atteinte d’Alzheimer, dans un établissement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), après l’avoir aidée à domicile. « C’était tellement difficile à vivre que j’ai failli sauter par la fenêtre une fois », confie l’homme de 85 ans. Et son cas n’est malheureusement pas isolé. Comme Timothée Morteau, un Français sur deux s’occupe, ou s’est occupé, d’un proche âgé en situation de dépendance.
20 % des personnes âgées
Une personne dépendante se définit, selon les termes de la loi, par son besoin d’assistance dans les « actes essentiels de la vie » ou d’une surveillance régulière. Dans les faits, elle ne concerne que les personnes âgées. Pour preuve, l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) n’est accessible qu’après 60 ans.
Selon l’Insee, l’âge d’entrée moyen dans la dépendance est de 83 ans pour les femmes, 78 ans pour les hommes. Mais « 80 % des plus de 80 ans n’ont pas de problème de handicap ou de fragilité », souligne Pascal Champvert, président de l’AD-PA (Association des Directeurs au service des Personnes Agées). Cela n’empêche pas les statistiques de grimper rapidement. Un peu plus d’un million de personnes bénéficient des aides correspondantes. Mais le triple serait en situation de perte d’autonomie.
Des aides financières insuffisantes
L’accompagnement va de soi pour nombre d’aidants. Il n’est pas simple pour autant. Y compris sur le plan financier. De fait, la dépendance coûte cher. Chaque année, elle représente 34 milliards d’euros de dépenses – dont une part non négligeable aux frais des familles. En fait, les familles doivent sortir de leur poche 400 à 2 300 euros par mois pour financer les soins de leur proche en perte d’autonomie, selon les estimations de l’Insee. Ce reste à charge pèse lourd sur les portefeuilles et mais aussi sur le moral des familles. « Les sommes qu’il me reste à payer sont très élevées, confirme Timothée Morteau. Il m’est difficile de joindre les deux bouts. »
Plusieurs aides possibles
Les soutiens financiers existent pour les Français en situation de dépendance. L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) est disponible sans condition de ressources et la somme évolue en fonction du niveau de handicap, évalué par l’échelle AGGIR, qui va de 1 à 6. S’y ajoutent différentes aides allouées selon le revenu, au niveau des départements, de la caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) ou encore des complémentaires.
La dernière avancée dans le secteur est inscrite dans la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Elle ajoute une aide au répit de 500 euros maximum, disponible aux aidants. Une évolution tempérée par Joël Jaouen, président de l’association France Alzheimer. « Quand on lit le texte, on comprend que tout le monde ne sera pas éligible, modère-t-il. Elle est accordée sous réserve qu’on n’ait pas trouvé de solution de remplacement. »
Le coût des institutions
Au cœur des dépenses, les frais d’hébergement. Pour Timothé, le placement de sa femme en EHPAD a été salvateur mais aussi très coûteux. Chaque mois, il doit débourser 1 500 euros pour payer la chambre et la prise en charge de sa conjointe. Une résidence en EHPAD occasionne en moyenne un reste à charge de 1 700 à 2 200 euros… avec de fortes variations en fonction des départements. « Dans le sud des Hauts-de-Seine, où je vis, une journée en établissement coûte 103 euros, illustre Danielle Rollat, vice-présidente nationale de Ensemble et solidaires - UNRPA. Ma sœur vit dans l’Allier, où une journée représente 60 euros. »
Ces coûts élevés expliquent sans doute pourquoi les Français sont si réticents face au placement en EHPAD. Huit sur dix optent pour le maintien à domicile, d’après le Baromètre Dépendance 2016. Presque autant n’envisagent la résidence spécialisée qu’en dernier recours. C’est le cas d’Olof Edstrom. Ce résident parisien a choisi de se former pour accompagner son épouse à domicile. « J’ai lancé un dossier pour un hébergement en institution, si son état s’aggrave ou qu’il m’arrive quelque chose », explique-t-il.
Des alternatives peu efficaces
Le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes est de loin une solution privilégiée. Des Français comme des pouvoirs publics, qui ont renforcé les mesures favorisant cette option dans la loi d’adaptation de la société au vieillissement. Aux yeux de Pascal Champvert, c’est surtout une manière de dissimuler le problème. « Une fois que les gens sont à domicile, comment les accompagne-t-on ? Faut-il supprimer les établissements ? Ces formules cachent le fait que les politiques n’ont pas travaillé le dossier », peste le président de l’AD-PA.
D’autant que le maintien à domicile correspond rarement à la mécanique bien huilée du couple Edstrom. En moyenne, les professionnels de santé et paramédicaux sont présents 56 heures par mois chez le bénéficiaire, d’après un sondage de l’UFC-Que Choisir. Largement insuffisant aux yeux de Danielle Rollat. « Le maintien à domicile, ce n’est pas du lundi au vendredi, de 9 à 18 h. C’est aussi le samedi, le dimanche, la nuit, souligne-t-elle. Le problème, c’est que les services sont exsangues. » Développer les effectifs, seuls deux candidats à la présidentielle le proposent : Benoît Hamon et Nicolas Dupont-Aignan.
Le silence des pouvoirs publics
A ces multiples dysfonctionnements, les pouvoirs publics répondent par un silence assourdissant. Pourtant, « c’est un enjeu démocratique et social majeur », estime Pascal Champvert. Silencieux, mais pas dénués de promesses. Les candidats élus à la présidence Nicolas Sarkozy (LR) et François Hollande (PS) ont successivement avancé le même engagement : la création d’une prestation autonomie. De belles paroles puisque rien n’a été fait. « Quand deux présidents successifs s’engagent, quand la société indique comment le financer, il faut le faire », exhorte Pascal Champvert. Or la loi d’adaptation de la société au vieillissement finalement votée ne convainc pas plus patients et professionnels.
« Une solidarité active doit se développer pour ces gens », estime Danielle Rollat. C’est aussi l’avis du président de France Alzheimer. « La création d’une cinquième branche est un combat qu’on mène depuis longtemps, souligne Joël Jaouen. Cela permettrait de prendre en charge le besoin d’accompagnement. » (voir la suite de notre enquête)
Mais un éventail plus large de solution se déploie, comme la formation des aidants et la création de structures de répit. Ainsi, 37 % des Français plaident en faveur de l’ouverture de centres d’accueil de jour. Pour payer ces investissements, ils désignent en priorité l’Etat et des cotisations. TVA sociale, taxe sur la succession… toutes les pistes sont ouvertes.
Les propositions des candidats à la présidentielle
Les prétendants à la présidence de 2017 ne se montrent pas plus loquaces que les pouvoirs publics sur la question de la dépendance. Certains avancent tout de même quelques propositions. Du côté des extrêmes, Jean-Luc Mélenchon propose la hausse des plafonds de l’APA, et Nicolas Dupont-Aignan se positionne en faveur d’un investissement dans la formation et l’adaptation des établissements existants. Marine Le Pen avance, pour sa part, la création d’un cinquième risque dans la Sécurité sociale (voir la suite de notre enquête). La présidente du Front National a le nez creux. Cette solution est justement plébiscitée des représentants des établissements et des services à domicile comme des associations de patients. L’UNRPA soutient clairement une telle mesure. A une condition : qu’elle soit ouverte à toutes les personnes en perte d’autonomie, et pas uniquement les personnes âgées.