Voilà un sujet qui rassemble les patients, leurs proches et les professionnels du secteur. Ne parlons pas de dépendance, mais de perte d’autonomie. Le refrain n’est pas nouveau mais il revêt une nouvelle signification à l’aube de l’élection présidentielle. A l’heure du vieillissement de la société française, de l’essor des maladies chroniques et du handicap, les associations s’accordent sur un point : le système actuel ne tient plus. Il doit donc évoluer.
Pour Pascal Champvert, président de l’AD-PA (Association des Directeurs au service des Personnes Agées), cela ne fait aucun doute : le terme de dépendance est le reflet d’une société qui discrimine les personnes âgées. « Personne n’a envie d’être dépendant, estime-t-il. Si on veut comprendre le retard de la France, il faut intégrer le fait que la société est âgiste. » En effet, une seule différence sépare les personnes handicapées et dépendantes : l’âge.
Une caisse commune
Un seul exemple permet de résumer l’ampleur du problème. Avant 60 ans, plusieurs aides sont disponibles aux personnes handicapées. Passé cet anniversaire, certaines disparaissent sans être systématiquement remplacées. L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) fait son apparition. Un échange dont le patient ne sort pas forcément gagnant. Les 60 bougies soufflées, « on est considérés comme une charge, et pas une chance », déplore Danielle Rollat, vice-présidente nationale d’Ensemble et solidaires – UNRPA.
Pour évoluer, la dépendance devrait donc rassembler toutes les formes de handicap; ce serait le cinquième risque de la Sécurité sociale. D’après un rapport du Sénat, réalisé en 2007, un tel système nécessiterait un budget de 18,5 milliards d’euros – dont 8 milliards consacrés aux personnes âgées.
Plusieurs arguments plaident en faveur de cette solution, à commencer par les missions de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Créée après la mortelle canicule de 2003, elle est le plus souvent associée à l’accompagnement des personnes âgées. Pourtant, elle est aussi chargée de coordonner les actions en faveur des personnes handicapées. Depuis 2005, elle gère par exemple les maisons départementales dédiées à ce public (MDPH) et une prestation spécifique (PCH) ouverte aux citoyens de 20 à 59 ans.
Des dispositifs redondants
La Cour des comptes le souligne elle-même dans un rapport de 2016 : les dispositifs de prise en charge peuvent être redondants. Trois coexistent et ont pour objectif de coordonner les différents secteurs de la prise en charge de la dépendance. Mais de fortes inégalités territoriales sont relevées. Dans l’Essonne, par exemple, plusieurs réseaux gérontologiques sont en place, plusieurs MAIA (1) et un PAERPA (2) « alors même que d’autres territoires restent mal couverts, voire pas du tout ». Sans compter que les contraintes budgétaires au niveau départemental de l’Assurance maladie « conduisent à fixer au plus juste les tarifs de rémunération des services ». La situation est tout aussi complexe au niveau du handicap.
Rassembler les dispositifs et les sources de financement fait donc sens. « Une solidarité active doit se développer pour les gens en perte d’autonomie, martèle Danielle Rollat. Et j’y inclus aussi les personnes handicapées qui ont besoin d’aide toute leur vie. » C’est même une vieille rengaine : de 2007 à 2009, l’Etat a avancé ses pions vers la création du cinquième risque de la Sécurité sociale, dédié exclusivement à la perte d’autonomie. L’idée présentée en 2009 est limpide. Il s’agit d’universaliser les aides sans tenir compte de l’âge, tout en améliorant l’accompagnement à domicile et en développant les partenariats publics/privés. « C’est un combat qu’on mène depuis longtemps », souligne Joël Jaouen, président de l’association France Alzheimer.
L’évolution est inévitable
A en croire une étude menée par la DREES, les Français sont en faveur d’un tel système. 6 sur 10 plaident pour l’implication accrue de l’Etat et des pouvoirs publics dans la dépendance, et 85 % se positionnent pour une solidarité renforcée envers les personnes handicapées. Danielle Rollat va plus loin. Elle juge que tous les éléments sont rassemblés. Reste à les ré-organiser. « Les financements sont déjà pris en charge par les départements, via les aides à l’enfance par exemple, explique-t-elle. Concernant les personnes âgées, la gestion de l’APA a été confiée aux départements avec engagement de l’Etat. »
Malgré cet enthousiasme collectif, en 2011, le cinquième risque a été abandonné à l’occasion du débat national sur la dépendance. Pour autant, une telle évolution semble inéluctable aux yeux de Joël Jaouen. Un changement qui ne doit pas être bâclé pour autant. Tous les handicaps ne se ressemblent pas, rappelle-t-il : « Il existe des tiroirs différents. Par exemple, la maladie d’Alzheimer est dans le plan maladies neurodégénératives. On a des choses en commun, mais beaucoup de choses nous séparent aussi. » L’équilibre entre rassemblement et prise en compte des différences promet d’être délicat.
L’implication variable de l’Etat
Avec ses multiples allocations à différentes échelles, la France se situe à mi-chemin entre ses voisins du nord et du sud de l’Europe, estime la Cour des comptes dans un rapport dédié à la dépendance. La répartition des dépenses se partage entre les familles et les pouvoirs publics, ce qui n’est pas le cas partout.
L’Allemagne a franchi le pas du « 5e risque » dès 1995 avec la création d’une assurance dépendance obligatoire. Avec succès puisque fin 2013, ce système couvre 2,5 millions de personnes, soit la quasi totalité de la population visée. Un choix qu’a aussi fait le Japon, à quelques nuances près. Le pays du Soleil Levant propose une assurance universelle après 65 ans, l’Etat jouant le rôle d’organisateur et les communes celui d’assureur.
Les Etats du Sud de l’Europe se montrent plus frileux dans leurs investissements. Traditionnellement, la famille est considérée comme responsable de ses aînés. Les moindres ressources publiques entrent aussi en ligne de compte. En Italie, par exemple, les interventions dans le secteur de la dépendance passent par le biais de lois cadres mais les régions et communes sont chargées de les mettre en application.
(1) MAIA : Maisons pour l'autonomie et l'intégration des malades Alzheimer
(2) PAERPA : Personnes Agées En Risque de Perte d'Autonomie