« J’étais seule lorsque j’ai fermé mon cabinet. Brusquement, trois personnes qui s’étaient laissées enfermer dans les toilettes, m’ont braqué avec une arme à feu, raconte une jeune généraliste des Mureaux (Yvelines). On m’a demandé la recette du jour et ma carte bleue. L’un deux m’a retenue en otage, un autre est sorti retirer de l’argent avec la carte et le troisième fouillait le cabinet. » Très choquée, la jeune médecin a fait savoir qu’elle ne voulait plus exercer dans la ville des Mureaux.
Ce fait-divers, qui s’est déroulé le 18 janvier dernier, n’est malheureusement pas exceptionnel. A Marseille, c’est un rhumatologue qui a tout récemment subi un violent coup de tête. Le fils d’une patiente avait mal interprété les propos du médecin. Quelques jours plus tard, c’est à Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis, qu’un médecin urgentiste est victime d’une agression.
Ecoutez le Dr Christophe Prudhomme, urgentiste : "Un de nos collègues s'est fait tout voler, il va renoncer à s'installer. Voilà ce qu'on vit aujourd'hui."
Si ces faits-divers ne sont pas isolés, est-ce que l’on enregistre une flambée du nombre des violences envers les professionnels de santé ? Dans les Bouches-du-Rhône, le nombre d’incidents aurait triplé en seulement deux ans. « Nous sommes passés de 12 à 36 signalements », déclarait au quotidien La Provence, le Dr Jean-Claude Gourheux responsable régional de l'Observatoire pour la sécurité des médecins et membre du conseil national de l'Ordre.
«Si l'augmentation est considérable, poursuit le Dr Gourheux, le chiffre est faible par rapport à la réalité. Trop de médecins victimes ne déposent pas plainte ou ne nous préviennent pas. Par philosophie, manque de temps ou peur des représailles. »
Au niveau national, on ne peut pas parler de flambée des chiffres. En 2011, les violences à l’égard des médecins avaient même diminué de 10%. En revanche, le nombre de déclarations d’incidents avait bondi de 80% en 2010. En attendant les derniers chiffres de l’Observatoire de la sécurité des médecins qui devraient être publiés en avril, il semble donc difficile de trancher.
L’émotion que suscitent ces agressions est, elle, bien réelle. Aux Mureaux, bon nombre de professionnels de santé – des médecins mais aussi des infirmières – ont donc décidé de fermer les portes de leur cabinet le 1er février. Ce geste symbolique ne relève pas de la défense corporatiste puisque ces professionnels de santé ont décidé d’aller au-devant de la population en organisant un débat avec la population.
Ecoutez le Dr Marie Hélène Certain, généraliste aux Mureaux et élue locale : "Les habitants sont concernés au premier chef, d'autant que ces habitants ont des problématiques de santé liées aux conditions socio-économiques difficiles".
Les professionnels de santé des Mureaux veulent sensibiliser la population parce qu’ils ont la conviction que les habitants de ces quartiers sensibles seront les premières victimes collatérales de ce climat de violence. Ils en subissent déjà les conséquences puisque l’insécurité fait fuir les anciens médecins et dissuadent les jeunes de s’installer.
Ce débat de fond s’impose aussi parce que les chiffres de l’Observatoire de la sécurité des médecins montre bien que le courant passe mal entre médecins et patients. Le premier motif d’incident est en effet un reproche relatif à la prise en charge. Pour le Dr Michel Legmann, président du conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), cette « montée régulière des incivilités et des agressions verbales est préoccupante. » Elle témoigne d’« une société où les individus ont bien entendu des droits mais oublient bien volontiers leurs devoirs ».
Un référent dans les commissariats
Ce débat citoyen a cependant dépassé les frontières des Mureaux. Le principal syndicat de médecins, la CSMF, a été reçu au ministère de l’Intérieur le 24 janvier. But de l’opération : faire le point sur les solutions mises en œuvre pour lutter contre l’insécurité des médecins. Un protocole national a en effet été signé en avril 2011 entre les ministères de la Santé, de l’Intérieur et la Justice avec les syndicats et les conseils de l’ordre des professionnels de santé. Il prévoit notamment la mise en place d’un référent dédié aux médecins ou aux établissements dans les commissariats ou les postes de gendarmerie. Mais cela peut aller plus loin avec la mise à disposition d’alarme pour les médecins.
Ecoutez Dr Bernard Le Douarin, président du conseil départemental du Val de Marne : "Grâce à des boîtiers, les médecins en visite de nuit sont en permanence reliés avec le Samu, qui peut envoyer si nécessaire les forces de sécurité."
Sécuriser les conditions d’exercice des médecins par des alarmes ou des dispositifs policiers n’est évidemment pas du goût de tout le monde. Aux Mureaux par exemple, des médecins regrettent que les élus locaux n’aient pas soutenu un projet de maison de santé pluridisciplinaire porté par huit généralistes et trois masseurs-kinésithérapeutes. De son côté, un syndicat de médecins, la FMF, voudrait avoir accès à une monétique sécurisée pour limiter la circulation d’argent. Par ailleurs, il réclame des moyens pour pouvoir financer l’embauche d’une secrétaire médicale. Une présence permet souvent d’apaiser les tensions.