Les mots sont durs mais ils sont le fruit d'un long travail d'enquête des sages de la rue Cambon (Paris). « Dérives dans la gestion », « indemnités indues », contrôle de la profession « insuffisant », dans son rapport public annuel publié mercredi, la Cour des comptes tacle sévèrement l'Ordre national des chirurgiens-dentistes (ONCD) et l'appelle à mener à « une réforme de grande ampleur » de son organisation.
L'ONCD, auquel sont inscrits près de 44 000 professionnels, doit « retrouver le sens de ses missions de service public » et « engager sans tarder une remise en ordre » de sa gestion, avertit la Cour des comptes. Elle pointe notamment du doigt les « pratiques dispendieuses » de l'organisme dont les cotisations annelles s'élèvent à environ 20 millions d'euros.
La pratique des cadeaux courante
Ces sommes récoltées permettent en effet à l'Ordre de mener grand train. Il a acheté en faveur de ses conseillers et des membres de leur famille et parfois de ses salariés, bijoux, « accessoires de haute couture », « montre sertie de diamants », ordinateurs, « grands vins d'une valeur de plusieurs milliers d'euros », soins en thalassothérapie... Mais la liste de ces avantages en nature ne fait que commencer...
Certains conseils locaux ont en effet organisé des voyages d’agrément, tous frais payés, pour les conseillers. Le conseil départemental du Loiret a ainsi organisé des séjours dans des villes thermales, avec les conjoints, à Vichy en 2012 pour 18 participants et près de 9 000 €, à La Baule en 2014 pour 21 participants et un coût de 14 000 €. S'ajoute à cela des séjours en Corse dans des hôtels de charme... Des faits que nie le président honoraire du conseil national de l'Ordre dans un communiqué publié jeudi sur son site.
Des indemnités généreuses
Les sages de la rue Cambon relèvent en outre que « des indemnités généreuses, parfois même indues » ont été versées aux membres du conseil national. « Le montant des indemnités versées en 2015 aux membres du conseil national a au total dépassé 600 000 euros, dont plus de 400 000 euros pour les huit membres du bureau (soit 50 000 euros par conseiller en moyenne) », rapportent-ils. « De nombreux conseillers nationaux perçoivent, en plus, des indemnités liées à leur participation à des conseils locaux qui peuvent, pour certains, dépasser 20 000 euros par an », ajoutent-ils.
De plus, les huit membres du bureau bénéficient gracieusement d'un appartement de fonction, selon des conditions d'attribution « opaques » qui « n'ont jamais été soumises à l'approbation de l'assemblée plénière ». « S'il peut se justifier pour les conseillers domiciliés en province (...) il est sans fondement pour les trois membres du bureau » qui habitent Paris, s'étonne la Cour des comptes. Elle constate également que « toutes les charges afférentes à ces logements sont payées par l'Ordre, jusqu'aux factures de blanchisserie du linge de maison, pour un total de plus de 100 000 euros par an ».
Les recommandations des sages
Par ailleurs, la juridiction considère les pratiques indemnitaires comme « très disparates ». Chaque conseil local décidant lui-même du montant des indemnités. La Cour des comptes recommande donc de « plafonner » le montant des indemnités servies aux conseillers de même niveau territorial ou de supprimer « les rémunérations manifestement abusives » afin de « retrouver l'esprit de bénévolat ». Elle préconise aussi de « limiter le nombre de mandats successifs au sein d'une même instance ordinale » et de « prohiber le cumul des mandats » après avoir pointé la longévité des dirigeants nationaux.
Enfin, la Cour souligne que les contrôles de l'exercice de la profession par l'ONCD, au titre de ses missions de service public, sont « peu nombreux, peu efficaces et peu opérants », et déplore que son action soit plus tournée vers « la défense d'intérêts catégoriels qui ne lui incombent pas ». Elle cite par exemple la lutte de ces professionnels contre les réseaux de soins et centres dentaires. Dans son communiqué, l’Ordre réplique en écrivant qu'il lutte uniquement « contre les dérives de certains de ces centres et ceci dans l’intérêt des patients ». Le dialogue de sourds entre les deux institutions risque de continuer.