Chaque année, plus de 1 700 enfants et adolescents sont touchés par un cancer. Malgré les avancées thérapeutiques qui permettent de sauver plus de 80 % d’entre eux, le retentissement psychologique est immense. Ces jeunes patients en plein développement ont donc besoin d’un soutien psychologique spécifique. Entretien avec Laurent Lemaître, psychologue clinicien au service d’onco-hématologie pédiatrique de l’hôpital Armand de Villeneuve (CHU de Montpellier) à l’occasion de la Journée internationale du cancer de l’enfant.
Comment le cancer modifie-t-il le développement psychoaffectif des enfants ?
Laurent Lemaître : Il est important de se représenter que l’enfance est une période où nous sommes très dépendants des parents, et que petit à petit nous acquérons une autonomie qui nous permet de pouvoir penser et faire les choses par nous-mêmes. Mais quand le cancer survient à cette période de la vie, il entrave ce processus en recentrant tout à coup la relation parents-enfant de manière très forte. L’enfant n’a alors plus cette capacité de penser les choses par et pour lui-même. Il va avoir en permanence ces deux parents autour de lui, avec le souci qu’ils ont pour lui. Tout l’enjeu sur le plan relationnel va être de retrouver une certaine forme de respiration dans la relation parents-enfant qui soit la plus adaptée à l’âge de l’enfant.
La place des parents et de la fratrie est une dimension très importante de ce soutien psychologique.
Laurent Lemaître : J’ai l’habitude de dire que toute la famille est sur le même bateau. Si l’enfant est sur le pont pendant la tempête, les parents et la fratrie sont avec lui. Il faut donc être très vigilants pour les frères et sœurs car leur vie est elle aussi grandement perturbée. On doit donc prendre en considération leur ressenti et leurs angoisses. Il existe de plus en plus d’espaces privilégiés pour les fratries dans lesquels ils peuvent faire des activités avec leur frère ou sœur malade afin qu’ils ne sentent pas rejetés, abandonnées et un peu loin de la préoccupation parentale, énorme, autour de l’enfant malade.
Une attention qui peut être un vrai poids pour certains enfants. Ceux qui sont très sensibles peuvent ressentir un fort sentiment de culpabilité, et penser que s’ils n’étaient pas malades tout le monde irait mieux. Une de mes patientes âgée de 10 ans me confiait ce matin combien elle était très inquiète pour son frère qui rencontrait des difficultés à l’école parce qu’il se fait du souci pour elle. Notre travail est de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas responsables de cette situation et qu’ils la subissent eux aussi.
Comment les enfants réagissent-ils à l’idée de la mort ?
Laurent Lemaître : En fonction de leur âge et de leur représentation de la mort qui commence à se construire à 5 ou 6 ans, ils réagissent de manière extrêmement différente. Les enfants très petits ont beaucoup de mal à en parler, mais à partir de 8-12 ans ils ont la capacité de parler de la possibilité de la mort et de leur fin de vie. Souvent, ils en parlent de façon spontanée, et quand on les accompagne en leur disant qu’il n’y a pas de dangerosité à parler de la mort et que cela ne la fait pas venir, on arrive à avoir des échanges très forts. Ils pensent très souvent leur absence par rapport à leurs parents, en disant que s’ils ne sont plus là leurs parents seront très tristes. Finalement, les enfants élaborent assez facilement sur ces questions là quand ils ont en face d’eux des personnes prêtes recevoir toutes leurs émotions.
Comment la prise en charge psychologique des enfants s’organise-t-elle pendant et après les traitements ?
Laurent Lemaître : Tous nos services d’onco-hématologie pédiatriques sont dotés de psychologues et/ou de pédopsychiatres. Ces professionnels proposent systématiquement aux familles de participer à des entretiens individuels ou des groupes de parole pendant les traitements. Mais il est très important que cet accompagnement soit poursuivi après les traitements car durant cette période, la difficulté émotionnelle ressentie par les enfants est sous-estimée. Même si on leur dit qu’ils sont en rémission, ils se sentent encore fragiles et ont besoin de plusieurs semaines, voire de mois, pour retrouver toutes leurs capacités et revenir à une vie normale. Un grand sentiment de solitude peut survenir chez certains. Alors on essaye de continuer à les suivre assez régulièrement. S’ils vivent loin de l’hôpital, on les oriente vers des professionnels formés à l’accompagnement spécifique des enfants atteints de cancer.
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