« Les patientes appellent et je ne sais pas quoi leur répondre. Elles veulent arrêter leur traitement, c’est très alarmant. Pourquoi l’Agence a-t-elle communiqué auprès du grand public sans nous avoir prévenus, alors que nous n’avons pas les éléments de l’enquête, et que nous ne sommes pas en mesure de fournir une réponse aux patients ? C’est inconséquent. »
Dans ce centre régional de pharmacovigilance, l’heure est au désarroi. Depuis les révélations du Figaro, un élan de panique souffle sur les services d’oncologie. Cinq patientes atteintes de cancer du sein sont décédées entre août 2016 et février 2017. Selon le journal, dont les informations ont été en partie confirmées par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), ces femmes ont développé une entérocolite (inflammation du tube digestif) d’issue fatale.
"Bouffeurs de moelle"
Toutes prenaient du docétaxel, un générique du taxotère, développé au milieu des années 1990 par le laboratoire Sanofi et indiqué dans plusieurs cancers. Il s’agit d’une chimiothérapie de base, qui figurait d’ailleurs parmi les 30 spécialités les plus prescrites à l’hôpital, selon un document de l’ANSM daté de 2011.
En septembre dernier, face aux signalements de ces décès, l’ANSM a lancé une enquête dont les résultats doivent être présentés le 28 mars 2017. Mais la presse a dégainé avant et s’interroge. Voit-on ici pointer le début d’un nouveau scandale sanitaire ? Ou sommes-nous face à un phénomène dramatiquement banal, lié aux multiples et graves effets secondaires des médicaments anticancéreux ?
« Comment pourrait-on le savoir à ce stade, s’interroge François Chast, chef du service de pharmacie à l'hôpital Necker. Quand j’étais à Cochin, nous préparions 40 000 chimiothérapies par an ; 10 000 patients développaient une infection. Les traitements anticancéreux sont des ‘bouffeurs de moelle’, ils portent atteinte aux fonctions rénales, pulmonaires, hépatiques… La toxicité du docétaxel est connue. »
Retrouvez l'intégralité de l'interview du Pr François Chast :
Un profil qui interroge
Il n’empêche. Selon le Figaro, les cinq femmes décédées, âgées de 46 à 73 avaient un bon pronostic ; elles n’étaient « ni âgées, ni fragiles ». Par ailleurs, si les effets secondaires du docétaxel font l’objet de nombreux signalements, les centres de pharmacovigilance que nous avons contactés n’ont jamais rapporté de décès. A l’Express, l’ANSM a confirmé que concernant le cancer du sein, aucune mort n’avait été enregistrée en lien avec du docétaxel avant ces cinq cas. Seules des personnes atteintes d’autres cancers, au pronostic plus mauvais, sont décédées.
« Des patients qui prennent du docétaxel et qui meurent, cela n’a rien de surprenant, confirme Jean-François Bergmann, chef du service de médecine interne à Lariboisière. Ce qui interroge, c’est l’aspect simultané de ces décès et le profil des patientes ».
Un autre élément interroge : le caractère générique de ces médicaments. Toutefois, les experts balaient pour le moment cette crainte, alors que le recours aux génériques en cancérologie est particulièrement répandu et les incidents enregistrés, pas plus nombreux qu’avec les médicament originaux, "princeps".
Réagir ?
Dernière question en suspens : le temps de réaction de l’agence. Le Figaro l’estime étonnamment long, pour un dossier qui comprend des décès. « L’Agence est dans son rôle, estime pour sa part Jean-François Bergmann, qui y a siégé pendant plusieurs années. Elle est toujours lente à la détente ; tant qu’il n’y a pas une analyse et une instruction complètes, elle ne parle pas ».
Dans le centre régional de pharmacovigilance, on aurait au contraire aimé que l’ANSM prenne davantage son temps avant de « paniquer les patients sans aucune réponse à leur apporter ». Pour les personnes sous docétaxel, le message est le suivant : ne surtout pas interrompre le traitement en cours, les risques seraient trop élevés. Et attendre d'y voir plus clair...
En attendant, certains établissements ont malgré tout pris les devants. L'Institut Curie, où deux décès sont survenus (l'un en juin, l'autre en février), a annoncé la fin de l'utilisation du docétaxel dans ses services, « par mesure de précaution ». « L'Institut Curie administre cette molécule de chimiothérapie (taxane) sous sa forme générique depuis début 2015 et son princeps depuis plus de 25 ans dans le traitement pour de certaines forme de cancers du sein », précise l'Institut dans un communiqué. Le médicament sera remplacé par le Paclitaxel.