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Mort in utero à Port-Royal

Maternités : la politique périnatale en échec

Par Afsané Sabouhi

Des maternités de niveau 3 engorgées tandis que les maternités de niveau 1 sont délaissées, gynécologues et sages-femmes dénoncent le dévoiement du plan périnatalité.

V. WARTNER/20 MINUTES/SIPA

Renvoyée chez elle faute de place à la maternité Port-Royal à Paris, une jeune femme a perdu son enfant décédé in utero. Cet incident dramatique qui est survenu la semaine dernière et révélé par Le Parisien a entrainé un dépôt de plainte contre X par le couple pour homicide involontaire par négligence.
La ministre de la Santé a diligenté une « enquête exceptionnelle, à la fois administrative et médicale ». En attendant que cette enquête établisse les responsabilités de chacun, des voix se font déjà entendre pour dénoncer les dysfonctionnements de la périnatalité en France où la mortalité infantile et maternelle reste plus élevée que chez nos voisins européens.

La maternité de Port-Royal qui devait accueillir la jeune femme enceinte était visiblement « en saturation totale » jeudi dernier. Une situation qui n’a rien d’inhabituel pour le vice-président du Syngof, le syndicat national des gynécologues obstétriciens de France. « La classification des maternités a été dévoyée, jetant le discrédit dans l’esprit des patientes sur les petites maternités de niveau 1 et conduisant à l’engorgement des maternités réputées les plus sûres », estime le Dr Bertrand de Rochambeau, gynécologue-obstétricien à Marnes la Vallée (77).
Cette classification des maternités en 3 niveaux remonte à 1998. Elle avait pour but d’orienter les femmes menant des grossesses à risque (environ 2 femmes sur 10) directement vers les structures les plus adaptées pour prendre en charge des nouveaux-nés en soins intensifs ou en réanimation. Mais cet objectif de sécurité des naissances s’est heurté à la logique économique des établissements de santé, où la tarification repose sur le nombre d’actes pratiqués.

 

Ecoutez le Dr Bertrand de Rochambeau, vice-président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France « Les maternités de niveau 3 se maintiennent à l’équilibre budgétaire grâce aux grossesses sans risques »



Si le choix des couples se porte souvent sur les maternités les plus sécurisées même lorsqu’il s’agit d’une grossesse non pathologique, la démographie médicale les pousse aussi vers la maternité la plus proche, de plus en plus souvent de niveau 2 ou 3. Car le manque de gynécologues accoucheurs et de pédiatres a également accentué les fermetures de maternité de niveau 1 et cette concentration vers les maternités sécurisées.
« On a sous-financé les maternités de niveau 1 et l’acte de l’accouchement normal. Résultat, progressivement ces maternités n’ont plus trouvé ni accoucheurs ni patientes donc on les a fermées », résume le Dr de Rochambeau. Les maternités de niveau 2 et 3 assurent donc désormais 70% des accouchements en France, selon l’enquête périnatale de 2010 contre 63% en 2003. Or, 80% des accouchements se déroulent dans des conditions normales.
« Aujourd’hui, une maternité qui ne fonctionne pas à flux tendu, c’est une maternité qui est proche de la fermeture ou de la restructuration », regrette le vice-président du Syngof. Le Collège national des sages-femmes abonde dans son sens en dénonçant « des situations de surcharge de travail devenues le quotidien de toutes les maternités de France ». 


« Ce qui est arrivé à Port-Royal arrive ailleurs, quelque soit le niveau de la maternité, insiste Bertrand de Rochambeau. Mais cette mort in utero très médiatisée témoigne du goulot d’étranglement dans lequel se trouve notre système ». Pour ce spécialiste, la France tente de suivre le modèle périnatal anglais où les gynécologues obstétriciens sont beaucoup moins nombreux qu’en France et où les accouchements normaux sont entièrement délégués aux sages-femmes ou aux jeunes médecins.

Ecoutez le Dr Bertrand de Rochambeau « En Angleterre, les médecins n’assurent les accouchements qu’en cas de problème. »



« Le problème c’est qu’on a commencé par réduire drastiquement le nombre de médecins sans organiser la substitution. A la différence des Anglais, aujourd’hui, nous n’avons pas  le personnel suffisant pour transposer cette organisation », dénonce le vice-président du Syngof.

Reste une autre piste évoquée depuis plusieurs années pour faire en sorte que les maternités de haute technicité restent accessibles aux femmes qui en ont besoin : les maisons de naissance. « Les sages-femmes pourraient y prendre en charge jusqu’à 10% des grossesses, si les femmes le souhaitent bien entendu et si leur grossesse est parfaitement normale, souligne Muguette Dini. La sénatrice centriste du Rhône a prévu de soumettre fin février à l’examen de son groupe parlementaire une proposition de loi prévoyant l’expérimentation pour 5 ans de maisons de naissances attenantes à une maternité. Les obstétriciens, longtemps opposés à cette idée semblent avoir changé de position sur ce qui pourrait être une solution partielle pour rééquilibrer l’offre de soins en cas de grossesse normale.