Chaque année, au moins 300 enfants meurent sous les coups d’un membre de leur famille. Un chiffre probablement sous-estimé, car aucune statistique n’existe sur les violences faites aux enfants. Ainsi, il est impossible d’évaluer le nombre de victimes mineures. Ce 1er mars, la ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes sonne la fin de l’omerta. Laurence Rossignol lance un plan destiné à libérer la parole des victimes et des témoins.
« Enfants en danger : dans le doute, agissez ! » clame le slogan de la campagne, lancée à l’occasion de ce plan. Elle invite notamment les professionnels de santé à signaler plus régulièrement leurs doutes. Ils sont, en effet, en première ligne.
Parler sans tabou, c’est aussi le sens de la campagne lancée par l’association Mémoire traumatique et victomologie, le 22 février dernier. Elle veut mettre fin au déni sur les violences faites aux enfants et interpelle directement les candidats à la présidence de la République. Ceux-ci sont appelés à signer un manifeste en 10 actions. Il les engage à lutter contre le déni, militer pour le respect des droits des enfants, les protéger par la prévention des violences et assurer la justice pour les victimes.
Le Dr Muriel Salmona, psychiatre et fondatrice de l'association Mémoire traumatique et victomologie, commente les dernières annonces pour Pourquoidocteur.
Quels types de violences sont le plus souvent déclarées par les médecins ?
Dr Muriel Salmona : Les violences physiques sont plutôt déclarées, moins souvent les violences sexuelles. C’est vraiment lié au fait que les médecins n’ont pas la culture de poser la question, de rechercher face à des symptômes si les enfants subissent des violences. Seuls 5 % des signalements émanent de soignants. Il faut vraiment se sentir concerné totalement. C’est de la médecine et un problème de santé publique majeur. Les médecins sont en première ligne et c’est eux qui peuvent dépister. Tous les enfants voient des médecins à un moment donné. En dépistant, on peut éviter des morts et des conséquences catastrophiques tout au long de la vie.
Pourquoi si peu de déclarations sont réalisées ?
Dr Muriel Salmona : Il y a plusieurs freins, à commencer par la méconnaissance de la réalité des violences, de l’impact sur la santé qui les concerne directement. C’est un des déterminants de la santé, même 50 ans après. Il est vrai que beaucoup de médecins sont dans le doute : est-ce qu’ils risquent une plainte parce qu’ils se sont immiscés dans des affaires de famille ? S’ils se sentent protégés et soutenus, cela peut changer la donne. Ils seraient plus nombreux à faire des signalements.
Il faut aussi qu’ils soient formés aux violences et leur impact psycho traumatique, à faire une déclaration, un signalement, un certificat… ils ne sont pas forcément formés à cela. Il faut aussi qu’ils aient plus la culture d’appeler le 119 (service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger, ndlr) et d'interroger le Conseil de l’Ordre. Il faut aussi, en urgence, qu’ils pensent à contacter le Procureur de la république : la situation sera prise en charge par la justice.
Que propose le plan lancé par Laurence Rossignol ?
Dr Muriel Salmona : Les grandes propositions consistent d’abord à avoir des chiffres en faisant des enquêtes. Le plan prévoit aussi des campagnes sur les bébés secoués, avec les médecins qui seront partie prenante, améliorer la prise en charge en psycho traumatologie, placer un référent dans chaque hôpital. Il faudra aussi faire en sorte que le 119 soit mieux connu et qu’il y ait davantage d’outils à disposition des médecins, des citoyens et de tous les professionnels en charge de l’enfance.
Dans les années à venir, il faudra une meilleure connaissance de ces violences, que les enfants soient plus protégés. Il faudra une véritable prise en charge des psycho-traumatismes qui vont impacter la vie de l’enfant. Ça peut aller jusqu’à 20 ans d’espérance de vie en moins. C’est vraiment le facteur de risque principal de suicide, de conduites alcooliques ou addictives, de psycho-manies.