60 000 : voilà le nombre de Français qui vivent avec une forme d’autisme. Un handicap lourd mais silencieux, et trop souvent ignoré. On estime que seul un enfant autiste sur cinq bénéficie d’une éducation scolaire. En milieu professionnel, c’est encore pire. Les statistiques n’existent tout simplement pas.
Quel devenir pour les adultes autistes ? Comment améliorer leur intégration aux entreprises ? Ces questions, le philosophe et écrivain Josef Schovanec – lui-même atteint du syndrome d’Asperger – tente d’y apporter des réponses dans un rapport remis ce 16 mars à la secrétaire d’Etat chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion, Ségolène Neuville. Il suggère plusieurs moyens d’améliorer l’accès à l’emploi chez ce public particulier. Le militant invite le secteur privé à faire preuve d’initiative.
Un silence pesant de l’Etat
La situation actuelle de l’emploi des personnes autistes est catastrophique en France. « Je me souviens d’une question posée à l’Assemblée nationale il y a plusieurs années, sur le nombre de personnes autistes au travail, se remémore Danièle Langloys, présidente d’Autisme France. Le ministère chargé du Travail a répondu qu’il n’existait aucune statistique. »
La situation n’a guère changé en 2017. Dans son rapport, Josef Schovanec ne peut que mentionner les résultats d’un sondage britannique. Il fait état d’un taux d’emploi de 15 %. « Ce serait déjà miraculeux si, en France, on en était à ce niveau », déplore Danièle Langloys. Ce silence général est emblématique du retard français sur la question de l’autisme.
Les trois plans Autisme et les autres plans dédiés aux personnes handicapées ont bien tenté de faciliter l’accès à l’emploi. Mais l’autisme demeure un handicap à part et la progression reste « fort inégale », selon l’aveu de Josef Schovanec. « On ne sait pas où sont les adultes autistes », résume Danièle Langloys.
L’entretien voué à l’échec
Si une majorité de personnes autistes est au chômage, c’est aussi parce que les solutions manquent pour faciliter leur inclusion en milieu professionnel. Aucune tentative de cadre adapté pour les stages n’a été mise en place. Le recrutement, lui, reste largement favorable aux personnes qui ne souffrent pas de troubles envahissants du développement. « Si on veut que la personne autiste n’intègre jamais un lieu de travail, il suffit de lui faire passer un entretien d’embauche », confirme Danièle Langloys.
De fait, cet entretien répond à des codes précis, à une compréhension implicite de l’exercice. C’est, en somme, un parcours d’obstacles à accomplir avec le moins d’erreurs possibles. « La personne autiste est inapte à faire cela, souligne la présidente d’Autisme France. C’est lui savonner la planche et cela n’a aucun intérêt puisque cela ne permet pas de détecter ses compétences. »
Adapter encore et toujours
Alors comment faciliter l’entrée en entreprise ? Josef Schovanec propose plusieurs réformes au niveau des personnes chargées de l’embauche. Faire passer une épreuve technique au lieu d’un entretien, par exemple. Mais aussi développer l’accompagnement des personnes autistes par un référent, afin d’éviter les trop nombreux échecs en période d’essai.
Car « pour une personne autiste, il n’est pas forcément simple d’être en milieu de travail sans accompagnement », rappelle Danièle Langloys. D’autant que des modèles existent à l’étranger, comme un coaching spécialisé ou la mise en place de référents uniques.
Une adaptation du poste aux besoins de la personne sera aussi une étape nécessaire. Cela passe par des horaires plus souples, bien sûr, mais pas uniquement. Josef Schovanec appelle de ses vœux le développement poussé d’outils logiciels ciblés sur cette population. Ils sont encore réservés aux enfants, à tort. « Il faut tout aménager », conclut Danièle Langloys. Y compris lors de la formation.
Des initiatives fructueuses
Le nœud du problème reste le maintien dans l’emploi, une fois qu’il a été obtenu. La période d’essai reste, dans la majorité des cas, une période d’échec. Quelques initiatives se distinguent par leur capacité à faire durer le partenariat. C’est le cas de l’entreprise Andros qui, en 2014, a décidé de faire un pas dans la direction des adultes autistes.
« Le directeur général d’Andros a fait le choix de mettre au travail des adultes autistes qui, pour la plupart, ne parlent pas. Normalement, ils auraient été sortis automatiquement du champ de l’emploi », explique Danièle Langloys. Une démarche facilitée par le fait que Jean-François Dufresne, DG de l’entreprise, est lui-même père d’un jeune autiste. Pour autant, il a fait le pari d’un emploi durable.
Cet exemple peut être reproduit, au vu des propositions de Josef Schovanec : adapter en permanence le poste aux besoins de la personne autiste, développer les emplois dans le secteur social et solidaire, créer des services de maintien de l'emploi ciblés sur l'autisme.
Réformer Pôle Emploi
Et l’Etat dans tout cela ? Il a son rôle à jouer, reconnaît Josef Schovanec, notamment pour inciter les entreprise à se montrer plus proactives. Une réforme du service public de l’emploi sera notamment essentielle au dispositif. Danièle Langloys est également de cet avis. « Pôle Emploi n’a aucune formation à l’autisme, il ne sait pas repérer les personnes autistes, peste la présidente d’Autisme France. Quand bien même, ils n’ont pas les compétences en interne pour savoir comment les accompagner. »
La formation de référents dans chaque centre est donc à souhaiter. Mais l’évolution générale passera aussi par une évolution de la visite médicale et des critères de pénibilité. Et pour cause : ils sont encore largement défavorables aux personnes autistes.