Elles espéraient guérir leur dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Elles ont finalement perdu la vue. Trois femmes ont été victimes d’une clinique peu scrupuleuse en Floride (Etats-Unis). Sous couvert d’essai clinique, l’établissement leur a proposé une prise en charge expérimentale, à base de cellules souches, de cette maladie de l’œil.
En réalité, l’expérience n’était absolument pas autorisée par les autorités sanitaires, indique l’université de Stanford (Etats-Unis). Elle revient, dans le New England Journal of Medicine, sur cette arnaque presque parfaite.
Une tromperie savamment travaillée
Tous les éléments étaient réunis pour induire en erreur les trois femmes qui se sont portées volontaires. En 2015, la clinique Bioheart – depuis renommée U.S. Stem Cell Inc. – lance une « étude pour évaluer la sécurité et l’effet de cellules par injection intra-vitréenne dans la dégénérescence maculaire sèche ». Le terme d’essai clinique n’est mentionné nulle part. Pas plus dans les documents signés par les trois patientes, âgées de 72 à 88 ans.
La tromperie est en fait savamment travaillée. La description de l’expérience est postée sur un site gouvernemental qui recense les essais cliniques. Il s’agit de transformer des cellules adipeuses en cellules souches avant de les injecter dans l'oeil des patients, puis d’observer les résultats. La greffe est dite autologue car elle s’appuie sur les cellules des patientes elles-mêmes.
Premier élément de soupçon : la clinique choisit de réaliser les injections dans les deux yeux en même temps. La prudence aurait voulu qu’elle ne traite qu’un seul œil. Car dans la semaine qui a suivi le traitement, les trois femmes développent des complications. Décollement de la rétine, perte de vision, hémorragie… la situation dégénère rapidement. Aujourd’hui, toutes trois sont aveugles et risquent de le rester à vie.
Un essai pas du tout contrôlé
Les causes possibles à de telles complications sont multiples : la préparation elle-même, l’injection d’un contaminant, la composition de la solution pour laver les yeux… Les chercheurs de Stanford estiment même que les cellules souches se sont transformées en myofibroblastes, responsables des cicatrices. En fait, même si la greffe avait été pratiquée correctement, rien n’assure que la procédure aurait fonctionné.
La littérature est assez prudente sur l’efficacité des cellules souches dérivées de tissus adipeux. D’ailleurs les sites travaillant sur ce sujet le précisent : « la thérapie par cellules souches n’est pas approuvée par la FDA (Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux, ndlr) et ne constitue un traitement pour aucune pathologie ».
« Il existe de nombreuses preuves solides du potentiel de la thérapie cellulaire pour de nombreuses maladies humaines, mais ce n’est pas une raison pour mal organiser un essai clinique et s’appuyer sur des recherches précliniques », peste Jeffrey Goldberg, également auteur de l’article du NEJM. En somme, presque tous les éléments essentiels d’un essai clinique digne de ce nom étaient absents : expériences préliminaires en laboratoire, groupe contrôle, récole des données, anonymat, suivi des patients… Les procédures n’étaient mêmes pas approuvées par la FDA, car les cellules souches étaient autologues et très peu traitées… en conformité avec les règles, qui ont depuis été revues.
5 000 dollars par volontaire
« Beaucoup d’espoirs sont avivés par les cellules souches, et ce type de cliniques s’adresse à des patients désespérés, en attente de soins, qui espèrent que ce sera la solution », souligne Thomas Albini. Bioheart n’est d’ailleurs pas le seul établissement à fructifier sur les espoirs des patients. D’après l’agence Reuters, quelque 600 cliniques américaines affirment effectuer des expériences de ce type.
Cette estimation est tirée d’une évaluation publiée en juin 2016, dans Cell Stem Cell. Elle souligne que l’approche de l’industriel au patient a de nombreux défauts. A commencer par celui que l’efficacité des cellules souches n’est pas démontrée.
Ce type d’incidents doit provoquer « une prise de conscience pour les patients, les médecins et les autorités sanitaires sur les risques de ce type d’études, financées par le patient et très peu régulées », selon Jeffrey Goldberg. En effet, chaque patiente a dû débourser 5 000 dollars (4 650 euros) pour la procédure. Aucun essai clinique ne demande aux volontaires de payer de quelconques frais pour être inclus. Dans ces instituts peu scrupuleux, les organisateurs peuvent réclamer jusqu’à 50 000 dollars.