Le chiffre a de quoi dégoûter les étudiants en médecine les plus enthousiastes à l'idée d'exercer. 968 incidents (agressions verbales, menaces...) ont été déclarés en 2016 par des praticiens, révèle ce jeudi l’Observatoire de la sécurité des médecins (1).
Il s’agit du nombre de déclarations le plus important depuis la création de la structure en 2003. Pire, cette violence semble même attendre son paroxysme puisque ce chiffre est nettement supérieur à la moyenne de 741 déclarations d’incidents par an, recensée jusqu'ici.
Peu de suites légales
Dans ce contexte préoccupant, et comme en 2015, 56 % des incidents n’entraînent toujours pas de suites légales. Ainsi, seul un tiers des incidents donne lieu à un dépôt de plainte, et 12 % à un dépôt de main courante.
Pourtant, 61 % de ces faits sont constitués d’agressions verbales et menaces, et les principaux motifs d’incident restent globalement stables, mais surtout dérisoires : il s’agit avant tout d’un reproche relatif à une prise en charge (31 %), de vols (18 %), de refus de prescription (17 %) ou encore d’un temps d’attente jugé excessif (10 %).
Les généralistes, premières victimes
Et en première ligne de cette violence dans les cabinets, on trouve toujours les mêmes professionnels : les médecins de famille. La surreprésentation des généralistes parmi les victimes s’accentue en effet depuis 2012, et est demeurée en 2016 à un niveau record.
Les généralistes représentent ainsi 65 % des déclarants, alors qu’ils ne représentent que 45 % des praticiens. Contacté par Pourquoidocteur, le Dr Hervé Boissin, coordonnateur de l'Observatoire de la Sécurité pour l'Exercice Professionnel, est catégorique : « Les généralistes sont devenus les punching-ball des maux de la société ».
Quel est votre analyse de l'Observatoire de la sécurité 2016 ?
Dr Hervé Boissin : Ce bilan montre une augmentation des agressions contre les médecins. Elle est à mettre en parallèle avec celle qui touche toutes les professions en charge d'un service public (enseignants, policiers...). Mais concernant les médecins, l'Observatoire s'est aperçu qu'au deuxième semestre 2016, cette hausse de la violence était très, très importante. Nous avons même enregistré des chiffres records avec des incidents contre les praticiens qui ont été extrêmement graves. D'ailleurs, cette tendance se poursuit en 2017 puisqu'un de nos confrères a été assassiné.
Ecoutez l'intégralité de l'entretien avec le Dr Hervé Boissin :
Comment expliquez-vous cette violence contre les médecins ?
Dr Hervé Boissin : Aujourd'hui, la population générale a moins de considération vis-à-vis du corps médical. Cela est aussi le cas pour d'autres professions (pompiers, instituteurs..). Il n'y a plus de frein sociétal à ces relations de violence. Le généraliste est en première ligne, en particulier pour les agressions verbales, parce que c'est lui qui est en charge de délivrer des arrêts de travail, des certificats, et qui doit voir en urgence les personnes. Lorsqu'il ne répond pas aux attentes des patients, bien souvent le ton monte, et parfois cela dérape. C'est un des punching-ball des maux de la société.
Avez-vous des solutions concrètes pour lutter contre l'insécurité ?
Dr Hervé Boisin : Il faut premièrement éduquer le public. Les médecins sont là pour soigner, avant tout, ils rendent service et ils ne sont pas les ennemis des malades. Deuxièmement, les praticiens devront prendre des mesures de prévention un peu partout dans leur exercice, que ce soit en maison pluridisciplinaire ou en cabinet isolé, ou même à l'hôpital. Enfin, on peut également envisager pourquoi pas des caméras dans les cabinets médicaux qui ne se déclencheraient qu'en cas d'agression.
(1) L’Observatoire de la sécurité des médecins 2016 a été réalisé par la section Exercice professionnel du Conseil national de l’Ordre des médecins avec IPSOS.
Géographie de la violence médicale
Si la majorité des incidents ont lieu en centre-ville (48 %), 22 % d’entre eux ont lieu en banlieue (21 % en 2015) et 16 % en milieu rural (17 % en 2015).C’est dans le cadre d’un exercice de médecine de ville qu’ont le plus souvent lieu les incidents (75 %, contre 71 % en 2015), alors que les incidents ayant lieu dans le cadre d’une activité en établissement de soins sont en baisse (de 22 % à 12 %).
Les départements les plus touchés sont les Bouches-du-Rhône (68 incidents) et le Nord (59 incidents). L’Observatoire constate également une recrudescence importante des déclarations en Seine-Saint-Denis (49 déclarations, contre 27 en 2015).