En trois mois d’exercice, le président des Etats-Unis semble avoir développé un rare don : celui de susciter l’indignation à chaque décision majeure. La dernière en date lui attire une fois de plus les foudres du milieu scientifique et médical. L’administration de Donald Trump a proposé de réduire de 1,23 milliard de dollars les sommes accordées aux Instituts nationaux pour la Santé (NIH), dans le cadre du budget de fonctionnement de l’Etat fédéral.
Le gouvernement a jusqu’au 28 avril pour faire voter l’enveloppe qui lui permettra de tourner jusqu’au mois d’octobre. Si cette première mouture est adoptée, les conséquences risquent d’être terribles pour la recherche médicale mondiale. Sans compter que, outre la réduction immédiate, l’administration veut amoindrir de 5,8 milliards de dollars le budget des NIH en 2018. Cela représenterait une baisse de 18 % par rapport à l’année précédente.
Un financement essentiel
Fait alarmant, le gros des coupes vise les subventions accordées aux différentes équipes de recherche biomédicale dans le pays. L’explication apportée par Tom Price, secrétaire à la Santé et aux Services sociaux, a du mal à convaincre. « Environ 30 % des subventions qui sont allouées sont utilisées pour des dépenses indirectes, ce qui signifie que l’argent est utilisé à des fins différentes que les recherches prévues », avance-t-il. Affirmation difficile à vérifier. Les conséquences, elles, sont facilement chiffrables.
80 % du budget des NIH est consacré aux subventions. Celles-ci sont accordées à environ 300 000 équipes réparties sur le territoire américain. Parmi elles, la prestigieuse université Johns-Hopkins de Baltimore, mais aussi l’université d’Augusta, Géorgie. Eric Belin de Chantemèle y travaille. Ce chercheur français expatrié aux Etats-Unis tente de se montrer optimiste, et veut croire en l’influence des membres du Congrès.
Le lent recul des subventions
Si le budget est adopté en l’état, poursuit-il, « toutes les universités des Etats-Unis auront de grosses coupes de financement et ne pourront quasiment plus faire de recherche. Cela sonnerait la fin de la recherche universitaire aux USA. » L’espoir est tout de même permis : le congrès – composé de la Chambre des représentants et du Sénat – doit encore valider cette proposition de budget. Sans quoi, nous assisterons à un shutdown, comme celui survenu sous l’ère Obama.
La bataille risque d’être rude, car le budget de la recherche est déjà soumis à une cure d’amaigrissement depuis plusieurs années.
« Quand je suis arrivé aux Etats-Unis, il y a 10 ans, les laboratoires avaient 2 à 3 chercheurs post-doctorat. Maintenant, on fonctionne avec un technicien, un étudiant en thèse et un post-doc, illustre Eric Belin de Chantemèle. Cela a énormément affecté notre activité quotidienne. » De fait, selon des chiffres cités par Vox, 30 % des demandes de financement étaient approuvées par le NIH en 2000. Aujourd’hui, environ 17 % de ces dossiers sont acceptés.
Contrairement aux instituts nationaux français, où les chercheurs sont fonctionnaires, les Etats-Unis appliquent une règle simple : pas d’argent, pas de laboratoire. Les universités dont la situation financière est tendue doivent donc licencier des équipes entières. « Cela crée un climat de tension assez important. Le budget de la recherche a déjà beaucoup diminué et certains chercheurs ont fermé leurs laboratoires », confirme Eric Belin de Chantemèle. L’Agence Moody’s a elle-même prévenu : cette proposition risque d’aggraver les finances de certaines universités qui dépendent cruellement de ces subventions.
Les ravages pour l’infectiologie
Un secteur risque de pâtir, peut-être plus que les autres, celui de l’infectiologie. En la matière, les Etats-Unis font souvent figure de leader. Cette ère pourrait bien être sur le déclin. L’administration Trump a notamment proposé de réduire de 300 millions de dollars le financement du PEPFAR (President's Emergency Plan for AIDS Relief).
« Ce programme pour la lutte contre le sida dans le monde est présent sur la transmission mère-enfant, la prévention chez les minorités, explique le Pr Gilles Pialoux, infectiologue à l’hôpital Tenon (Paris). C’est inquiétant, à un moment où le Fonds mondial de lutte contre le sida et la tuberculose a réduit ses budgets. »
Des conséquences internationales
La baisse d’investissement serait lourde de conséquence pour ceux qui en dépendent, sur le continent africain principalement. Car les programmes de recherche favorisent l’accès au dépistage, aux traitements antirétroviraux, à la prévention de la transmission mère-enfant…« Arrêter de les financer, c’est interrompre la cascade de soins », résume le Pr Pialoux.
Si les Etats-Unis décident de mettre fin à leurs efforts, c’est en fait toute la communauté internationale qui en paiera le prix. A commencer par les citoyens américains eux-mêmes. « La santé publique et les maladies infectieuses, qui sont très sensibles aux décisions politiques et l’idéologie, devront faire l’objet d’une vigilance accrue », avertit Gilles Pialoux.
La prudence est de mise : ces propositions, même si elles ne sont pas votées, augurent mal pour le reste du mandat de Donald Trump. « Je trouve ça très choquant, parce que la recherche permet le développement de tout un pays, toute une culture », conclut Eric Belin de Chantemèle. On ne saurait résumer mieux la situation.