Le bilan est lourd, très lourd. Des attaques chimiques massives ont fait au moins 75 morts par suffocation et 400 victimes à cause, selon toute vraisemblance, d'un bombardement au gaz toxique largué mardi matin à 6h50 dans le village de Khan Sheikhoun au sud de la région d'Idlib (Syrie).
Et le calvaire des Syriens ne s'est pas arrêté là. Le centre des casques blancs de Khan Sheikhoun, ainsi que l’hôpital Al-Rahme ont aussi été touchés par une attaque chimique. Alors que les condamnations se multiplient dans la communauté internationale, les médecins font entendre également leur révolte.
Une routine infernale
C'est le cas par exemple de ceux de l'Union des Organisations de Secours et Soins Médicaux (UOSSM) qui, dans un communiqué, rappellent que cette nouvelle attaque ne vient que confirmer une situation dramatique.
Dans leur rapport Syrian hospitals surveillance study publié récemment, ces praticiens indiquaient que 107 hôpitaux au Nord et au Sud de la Syrie ont été atteints par des frappes aériennes au moins une fois depuis 2016 – certains jusqu’à 25 fois. Contacté par Pourquoidocteur, le Dr Raphaël Pitti, médecin urgentiste spécialisé en médecine de guerre, raconte l'attaque du 4 avril. Ce médecin de guerre a formé 8 000 personnels soignants syriens depuis 2012.
L'attaque chimique est-elle confirmée ?
Dr Raphaël Pitti : Notre réseau de personnels soignants sur place est très important. Lorsqu'on parle avec eux et que l'on regarde l'ensemble des vidéos, nous avons tous les signes cliniques d'une intoxication par un organophosphoré, et en particulier le gaz sarin (GB). Les symptômes sont essentiellement des pupilles rétractées et des troubles respiratoires associés à un encombrement majeur, avec des convulsions et des douleurs abdominales. Autant de caractéristiques d’une exposition à des agents neurotoxiques.
Pourquoi voit-on autant d'images d'enfants ?
Dr Raphaël Pitti : A cause du rapport entre la posologie toxique et les mensuration (poids/taille) des victimes, les enfants sont plus sévèrement touchés. Pour un adulte, on se retrouve autour d'1mg par kg de poids, alors que chez l'enfant on se situe entre à 0,3 et 0,5 par kg de poids. C'est pour cela que sur les 75 morts, il y 25 enfants.
Comment s'est déroulée la prise en charge ?
Dr Raphaël Pitti : Le problème, c'est que les personnels soignants ont été submergés par l'afflux de victimes. Elles sont encore aujourd'hui en nombre important. De surcroît, les personnes touchées n'ont pas toutes été décontaminées par une douche avant d'entrer dans l'hôpital. Et les personnels soignants n'ont pas eu assez de tenues de protection pour prendre en charge ces patients. Si bien que beaucoup ont été contaminés à leur tour de manière secondaire.
Enfin, il faut rappeler que les hôpitaux syriens manquent de tous. Ils n'ont pas suffisamment de moyens d'oxygénation, d'incubation de ventilation, ainsi que les drogues que l'on utilise comme antidote (atropine, valium...).
L'éthique médicale bafouée
Concernant la situation sanitaire globale en Syrie, le Dr Raphaël Pitti explique : "La guerre civile en Syrie est certainement la plus grand catastrophe humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. L'ensemble du réseau sanitaire syrien a été complètement détruit. Beaucoup de médecins spécialistes ont fui le pays. Et très souvent dans les hôpitaux ne restent que les étudiants en médecine ainsi que du personnel soignant non qualifié. Tous tentent malgré le chaos de la situation d'apporter des soins.Notre éthique médicale en tant que médecin est reniée en Syrie. On tue le personnel soignant parce qu'il soigne des blessés. Je considère que s'attaquer à nous en tant que soignant est un véritable crime contre l'humanité".