La plus grande prison d’Europe implose. De l’intérieur, filtrent des scènes d’une violence inouïe, quotidienne, à laquelle le grand public finirait presque par s’habituer. C’est un fait : la triste renommée de Fleury-Mérogis ne cesse de gonfler. Si bien qu’au fil du temps, la maison d’arrêt semble perdre sa fonction pour devenir, progressivement, rien de plus qu’une fabrique à haine.
Les « matons » en sont les témoins privilégiés. Ce mardi, les surveillants pénitentiaires bloquent l’établissement, quelques jours après une bagarre qui a mal tourné : six gardiens qui ont voulu s’interposer ont été blessés par huit détenus mineurs. Ils réclament une fouille générale de la prison ainsi que des effectifs supplémentaires, mais aussi l’abrogation de la réglementation qui les oblige à légitimer les fouilles à nu des détenus.
Cocotte-minute
D’un côté, donc, la souffrance de ce corps de métier, martelée au gré des communiqués de presse, au fil des événements qui émanent de l’univers carcéral… Depuis des années, les syndicats alertent sur l’épuisement professionnel, affectif, personnel des surveillants de prison, sur leur impuissance face à une violence endémique, sur la prévalence du suicide au sein de cette population à bout de souffle.
De l’autre côté, les détenus, et notamment les plus violents. Les acteurs qui dénoncent leurs conditions d’incarcération s’exposent à des critiques acerbes : la société n’aime pas donner des circonstances atténuantes aux incarcérés. Il n’empêche. Tout le monde sait, au fond, que ces circonstances, loin de l’atténuer, éclairent le phénomène de violence autant qu’elles le façonnent et renforcent la haine viscérale entre « matons » et « taulards ».
La situation hautement inflammable de Fleury-Mérogis et des autres prisons françaises fait ainsi l’objet de rapports multiples, de l’OIP (Observatoire International des Prisons), du CGLPL (Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté), du Comité contre la Torture du Conseil de l’Europe. Tous ont pour point commun une vision prémonitoire, résumée par une image : celle d’une cocotte-minute prête à exploser.
Surpopulation
Il y a d’abord, bien sûr, la surpopulation carcérale, qui fait écho au manque d’effectifs chez les surveillants. Des travaux ont commencé afin de répondre à la densité excessive de détenus. Selon le ministère de la Justice, la maison d’arrêt pour hommes est terminée et le centre des jeunes détenus devrait suivre. A terme, la maison d’arrêt devrait être en mesure d’accueillir 3000 détenus mais en l’état, quelques 4600 personnes s’entassent dans les cellules de Fleury-Mérogis, dont certaines contiennent dix matelas au sol.
La promiscuité électrise les relations déjà très tendues entre prisonniers. Impossible, dans ces conditions, de surveiller et de faire régner l’ordre – d’où le burn-out des surveillants. Impossible, également, de restaurer le citoyen qui a failli : un détenu traité comme un chien aura une plus forte propension à se comporter comme tel. Quant à la santé mentale de la population carcérale, elle ne vaut guère mieux que celle des encadrants : chez les prisonniers, un décès sur deux est un suicide, selon une étude de Santé Publique France.
Violences et Humiliations
Passons l’état matériel de ces établissements, reflet de la vieille administration pénitentiaire et de ses déboires économiques. Le sujet vaudrait pourtant le détour : les rats, les punaises de lit, les déjections, la moisissure … tout cela n’est certainement pas pour apaiser la situation, dans le quartier des mineurs comme chez les plus âgés et chez les femmes, particulièrement discriminées.
Mais ce qui frappe, c’est l’incroyable banalité de la violence entre les détenus, et entre surveillants et prisonniers. Tous les rapports ont les mêmes formules : insultes récurrentes, utilisation de la fouille à nu comme moyen d’humiliation injustifié, coups répétés, manque de formation des surveillants… Au moins trois plaintes ont été déposées par des détenus qui dénoncent un traitement humiliant et ultra-violent, bien au-delà de la mission d’autorité qui incombe à l’administration.
Savoir qui a commencé le premier n’est pas vraiment la bonne question. Affronter les circonstances, en revanche, relève du plus grand pragmatisme. Finalement, c’est la directrice du centre qui, dans une lettre rédigée en juin, fournit le constat le plus clairvoyant. Elle parle de « quartiers saturés », de l’impossibilité « d’affecter les personnes détenues en tenant compte des profils, vulnérables, récidivistes, etc »… En un mot, d’une situation « intenable ».