Lorsque un médecin veille sur le taux de choléstérol d’un diabétique de type 2, c’est bon pour la santé de son patient, mais aussi pour celle de son porte-monnaie. En effet, depuis la nouvelle convention médicale de 2011, signée entre les syndicats de médecins libéraux et l’assurance maladie, un généraliste peut obtenir un rémunération supplémentaire s’il remplit un certain nombre d’objectifs. Si un médecin réussit à faire en sorte que 80% de ses patients diabétiques de type 2 aient un taux de LDL choléstérol inférieur à 1,3 g/l, il obtiendra des points. Et en fonction du nombre de points, il bénéficiera ou non d’une prime versée par l’assurance maladie. Aujourd’hui, les médecins qui ont adhéré à ce dispositif doivent rendre leurs résultats sur l’année 2012. Plus de 90 % des généralistes devraient rendre leur copie selon l’assurance maladie, qui est à l'initiative de ce nouveau mode de rémunération puisqu'elle l'a expérimenté dès 2009. "Une réforme structurelle qui tire le système vers la qualité plutôt que la quantité", estime le Dr Jacques Battistoni, généraliste en Normandie et vice président de MG France. "Dans les années qui viennent, on s'apercevra que c'est un virage fondamental pour le système de santé français dans le secteur ambulatoire." Il préfère cependant parler de rémunération sur des "objectifs de santé" et non de "performance", terme qu'il juge "plus péjoratif en France". Mais il s’empresse d’ajouter que le système reste assez complexe. Les médecins qui ont adhéré au dispositif pourront-ils tous renseigner correctement leurs indicateurs ? « « Cela permet de prendre conscience que nos logiciels ne sont pas équipés pour ce type de démarche, ou alors que nous ne les avons pas renseignés correctement pour extraire simplement les données demandées par l’assurance maladie », explique le Dr jacques Battistoni. Verdict dans les prochains jours puisque les médecins avaient jusqu’au 20 février pour remettre leurs données au caisses primaires d’assurance maladie.
Comment fonctionne précisément le dispositif ? Une trentaine de critères sont à remplir dans différents domaines. Le premier concerne l’organisation du cabinet médical. Ainsi, l'informatisation du dossier médical fait gagner 50 points. Le médecin doit aussi être en capacité de télétransmettre plus de deux tiers de ses feuilles de soins. Un second objectif concerne le suivi des maladies chroniques. Par exemple pour l’hypertension, pour obtenir 25 points, le médecin doit faire en sorte que 60 % de ses patients traités par antihypertenseurs aient une pression artérielle à 140/90 mm Hg. Troisième catégorie : la prévention. Par exemple, les trois quarts des patients de plus de 65 ans devront être vaccinés contre la grippe pour que le praticien obtienne 20 points supplémentaires.
Enfin, le dernier objectif vise à réduire les dépenses de médicaments. Prescrire au moins 70 % d'anticholestérols génériques, moins coûteux pour la sécurité sociale, permet d’ajouter 60 points. À raison de sept euros par point décroché ! Un médecin qui remplit tous les objectifs peut espérer toucher au maximum 11,4 euros par patient.
En théorie, avec une clientèle de 800 personnes, la prime peut ainsi s'élever à 9 100 euros par an. Cependant en pratique, les expérimentations lancées en 2009, les médecins ont reçu en moyenne 3000 euros en 2010 et 2011. Avec ce système, la caisse nationale d’assurance maladie espère améliorer les pratiques médicales, ce qui permettra, à terme, de faire des économies. Mais est-ce que ce système va modifier la relation des praticiens avec leur patients ? La majorité d’entre eux estiment que cela ne changera rien, et que cela ne fait que rémunérer enfin ce qu’ils faisaient déjà.
Ecouter le Dr Jacques Battistoni, généraliste en Normandie, vice-président de MG France. « Pour l’instant ça ne change rien. »
Cependant, des médecins estiment que cela pourrait entraîner des dérives, comme sélectionner les malades pour pouvoir atteindre facilement les objecitfs fixés par l’assurance maladie. C’est ce que redoute le syndicat de la médecine générale par exemple. D'autres comme le syndciat Union collégiale refusent d’adhérer car ils estiment que le système les met sous la coupe de la Sécu. Et enfin, l’Ordre des médecins avait lui aussi émis des réserves déontologiques lorsque l'assurance maladie avait expérimenté le système en 2009.
Qu’en pensent les patients ? Ils sont rarement au courant, et les médecins ne les informent pas non plus, comme en témoigne à titre personnel le Dr jacques Battistoni. « La priorité, c’est qu’ils soient soignés et deuxièmement qu’ils soient remboursés », rappelle le Dr Michel Combier, généraliste et président de l’UNOF-CSMF qui n’explique pas non plus à ses patients ce nouveau mode de rémunération.
Du côté des associations de patients, comme au Collectif interassociatif sur la santé, le Ciss, on regrette ce manque de transparence. « Cela doit être porté à la connaissance des patients, ne serait-ce que pour faire la lumière sur la rémunération des médecins. Et c’est une information qui peut être appréciée par le patient comme un gage de qualité : on peut se dire voilà je vais chez un médecin qui est engagé dans un contrat de performance au nom de la santé publique et à priori je serai plutôt mieux pris en charge… » estime Christian Saout. Sur le fond les associations ne remettent pas en cause le principe de rémunération à la performance, même si au Ciss on affiche une nette préférence pour les forfaits.
Ecouter Christian Saout, ex-président du Ciss. « Nous souhaitons que la part de rémunération au forfait soit plus élevée qu’elle ne l’est aujourd’hui. »
Autre critique. Les représentants des patients aimeraient aussi à l’avenir pouvoir participer à la définition de certains objectifs de rémunération à la performance. « Pourquoi la durée de consultation ne serait-elle pas un critère de qualité par exemple ? Ou le fait que le lien ait bien été fait entre votre médecin de ville et les établissements où vous avez été hospitalisé ? » propose Christian Saout.
Ecouter Christian Saout: « Au fond on aurait bien aimé que dans ces questions de performances il y ait des indicateurs sur la durée moyenne de la consultation médicale… »
Mais « il faut faire attention à cette quête de la performance dans le système de santé, qu’elle soit en ville ou à l’hôpital », met en garde Christian Saout. « Elle pourrait détruire la qualité du système de soins, sa capacité à entendre la douleur des uns et des autres, à la prendre justement en compte et à y apporter les bonnes réponses, souligne Christian Saout. C’est une question qui fait débat dans de nombreux pays. Et globalement en France j’observe que les patients n’ont pas le sentiment que ça va mieux et quand on écoute les soignants, ils trouvent que le résultat est pire qu’avant ».