Responsable, mais pas coupable ? En droit du travail, et en matière de harcèlement moral, la formule ne s’applique pas. Dans une entreprise, en cas de maltraitance d’un ou plusieurs employés de la part de la direction, le département des ressources humaines pourra être tenu responsable – et coupable – de n’avoir rien dit et d’avoir laissé faire. Une décision de justice récemment rendue par la Cour de Cassation et repérée par le journal l’Express fait ainsi jurisprudence sur le sujet.
L’affaire a eu lieu à Castres, dans un supermarché Auchan. Selon l’enquête décrite dans l’arrêt de la Cour, le directeur de la structure faisait régner dans le magasin un « climat de terreur ». L’affaire a été portée aux Prud’hommes.
Humiliation, manipulation...
Sur la base d’une trentaine de témoignages de salariés, la justice a ainsi pu déterminer que ces travailleurs subissaient une pression particulièrement lourde, avec « sans cesse la crainte de perdre leur emploi pour une quelconque raison ». « Beaucoup ont été humiliés ou témoins d'humiliations », « nombreux sont ceux qui ont perdu confiance en eux ou qui ont démissionné sous la contrainte », peut-on encore lire. Il existait « un climat de manipulation des proches collaborateurs se résumant ainsi : diviser pour mieux régner ».
Le 14 novembre 2011, la responsable des ressources humaines du magasin a été licenciée pour cause réelle et sérieuse. Motif : elle n’a pas alerté la direction du groupe Auchan, qui aurait ainsi pu prendre des mesures pour évincer le harceleur.
Mme X… qui « travaillait en très étroite collaboration avec le directeur du magasin, avait connaissance du comportement inacceptable de celui-ci à l'encontre de ses subordonnés », précise l’arrêt. Or, « elle n'a rien fait pour mettre fin à ces pratiques alors qu'en sa qualité de responsable des ressources humaines, elle avait une mission particulière en matière de management ».
Cautionner
La responsable des ressources humaines licenciée a contesté cette décision auprès de la Cour de cassation, arguant que du fait de son lien de subordination avec le directeur, elle ne pouvait s’opposer à lui et prendre l’initiative d’en référer au groupe Auchan. Par ailleurs, elle explique que ce même groupe n’a pas mis en œuvre les moyens structurels permettant de dénoncer les agissements abusifs des directeurs de magasins.
Un argument que la Cour n’a pas entendu, elle qui a confirmé le licenciement de la responsable RH. Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que « le responsable des ressources humaines est un expert en matière d'évaluation et de management des hommes et des équipes ». Elle estime donc qu’en « cautionnant les méthodes managériales inacceptables du directeur du magasin et en les laissant perdurer, la salariée a manqué à ses obligations contractuelles et a mis en danger tant la santé physique que mentale des salariés ».
Cet arrêt démontre ainsi que la chaîne de responsabilités en cas de harcèlement moral au sein d’une entreprise peut s’avérer plus large qu’on ne le pense. En aucun cas, les services de ressources humaines ne peuvent fermer les yeux sur ce type de situation et conserver un silence coupable.