L’allergie peut prêter à sourire. Mais chez les allergologues, le phénomène est pris au sérieux. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, le cannabis peut provoquer des réactions allergiques. Si les symptômes sont courants, le diagnostic l’est moins. Et pour cause : dans l’immense majorité des pays du monde, la consommation est interdite.
Cette illégalité pose de nombreux problèmes aux spécialistes mais elle pourrait se résoudre. Le candidat d'En Marche ! Emmanuel Macron, présent au second tour de l'élection présidentielle, est favorable à la dépénalisation de cette substance. L'allergie va-t-elle exploser ? Elle est en tout cas en plein développement. Les allergologues ont fait le point sur le sujet lors du Congrès Francophone d’Allergologie qui se tient du 25 au 28 avril au Palais des Congrès de la Porte Maillot (Paris).
Une allergie complexe
L’allergie au cannabis est connue depuis les années 1970. Elle reste pourtant peu évoquée. Le Pr Didier Ebo, immunologiste et allergologue à l’hôpital universitaire d’Anvers (Belgique), en a fait les frais il y a quelques années. « On a retrouvé dans la littérature quelques dizaines de cas, pas plus, se souvient-il. On recherche activement d’autres patients mais on n’a aucune idée sur sa prévalence. »
Sur le papier, la situation est simple. L’allergie au cannabis fonctionne sur le même principe que les autres formes. « Elle pourrait être déclenchée par la fumée, en inhalant les allergènes, mais aussi par une exposition cutanée, résume le Pr Ebo. Ce sont les deux voies de sensibilisation qu’on observe pour le moment. » En effet, l’immunoglobuline E est à l’origine des réactions diverses, comme les rhinites ou l’asthme.
Sauf que plusieurs allergènes sont impliqués dans la réponse au cannabis. Certains d’entre eux sont particulièrement résistants à la chaleur et restent actifs dans le système digestif. Résultat : des symptômes gastro-intestinaux et des réactions générales (urticaire, troubles respiratoires, choc anaphylactique) surviennent.
Une fréquence inconnue
C’est là que les choses se compliquent. Pour Didier Ebo, tout est parti d’un patient de 5 ans, présentant une allergie aux fruits et légumes. « En cherchant les allergies sous-jacentes, comme les pollens ou le latex, on a trouvé une allergie au cannabis, explique le spécialiste. La voie de sensibilisation venait d’un de ses parents qui fumait du cannabis quotidiennement. » C’est ce qu’on appelle une allergie croisée.
Son assiette est large. Rosacées (pomme, pêche, cerise), noisette, tomate, agrumes, céréales, boissons alcoolisées, latex et tabac : voilà quelles substances peuvent être associées à l’allergie au cannabis.
La faute est imputée à Can S 3, l’un des allergènes identifiés. Il s’agit d’une protéine de transfert lipidique, et certaines de ses cousines sont liées à plusieurs formes d’allergies. Or, elles présentent une structure très proche. C’est pourquoi les défenses immunitaires les reconnaissent. Cette allergie croisée est considérée comme croissante.
Mais il est difficile pour les allergologues de mettre des chiffres sur leurs observations. « Le cannabis reste illégal, les patients ne vont pas mentionner des symptômes s’ils fument », lâche le Pr Ebo. En l’état, la fréquence de l’allergie reste inconnue. Les médecins doivent donc développer le réflexe d’interroger leurs patients plus souvent. « Le fait qu’on va libéraliser le cannabis thérapeutique pourrait bien faire accroître le nombre de cas », augure l’immunologiste.
L’absence de tests
L’interrogatoire revêt un rôle essentiel dans cette allergie, car les tests sont rares et difficiles à obtenir. « La plupart des tests sont commercialisés par une firme suédoise. La Suède applique la tolérance zéro et la firme n’est pas autorisée à produire des tests spécifiques pour le cannabis », raconte Didier Ebo. L’entreprise a contourné en partie le problème, par un recours au chanvre industriel, structurellement très proche.
L’université d’Anvers, où exerce l’allergologue, a développé ses propres tests de son côté. « La plupart de mes collègues utilisent encore le test cutané, avec des feuilles de cannabis », ajoute-t-il. Mais les spécialistes réunis à Paris l’ont souligné : si ce test est négatif, le diagnostic ne pourra être confirmé. « Il n’est pas tout à fait autorisé de proposer au patient de fumer un joint pour arriver à une conclusion », a ironisé le Dr Jean-Luc Fauquert, président du Conseil scientifique du congrès.