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Départ après deux mandats

OMS : ovation et critiques pour Margaret Chan

Par Anne-Laure Lebrun

Après deux mandats successifs, le Dr Chan se retire. Elle aura fait face à de nombreuses épidémies et quelques critiques.  

Salvatore Di Nolfi/AP/SIPA

Ces 10 ans à la tête de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) n’auront pas été de tout repos pour le Dr Margaret Chan. Pandémie de grippe H1N1, Ebola, Zika, choléra… Les épidémies se sont multipliées cette dernière décennie. Et de vives critiques ont émergé.

Car même si la directrice générale de l’OMS quitte son poste sous les ovations des 194 pays membres présents pour l’élection de son successeur (1) qui aura lieu de ce mardi, elle ne nie pas que des erreurs ont été commises. Sur l’estrade, elle a à nouveau reconnu que la réaction face à Ebola en 2014 avait été trop « lente ».

Au cours de cette épidémie responsable de la mort de plus de 11 000 personnes en Afrique de l’Ouest, l’OMS avait tardé à décréter « l’urgence de santé publique de portée mondiale ». Une défaillance violemment fustigée par Médecins Sans Frontières (MSF), premier acteur à avoir tiré la sonnette d’alarme.
« Quand Ebola est devenu une menace pour la sécurité internationale et plus une crise humanitaire touchant une poignée de pays pauvres en Afrique de l'Ouest, le monde a commencé à se réveiller », avait résumé le Dr Joanne Liu, présidente internationale de MSF dans un rapport au vitriol paru en 2015.


Dramatisation de l'épidémie H1N1

Accusé d’avoir réagi trop tard pour Ebola, la directrice de l’OMS a aussi essuyé des critiques pour sa gestion de la pandémie de H1N1 en 2009. Mais cette fois, les détracteurs estiment qu’elle en a trop fait, agitant le spectre d’une épidémie mondiale meurtrière. Des spécialistes ont également soulevé certains conflits d'intérêts avec des industriels pharmaceutiques producteurs de vaccins. Face à la 70ème Assemblée de la Santé qui s'est ouverte ce lundi, elle a concédé que la menace avait été « faible » sans revenir sur ces accusations. Encore un mea culpa.

Pour le Pr François Bricaire, spécialiste des maladies infectieuses et tropicales à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), la pandémie de H1N1 est l’exemple type d’un excès de précaution. « Mais cela n’est pas facile, je ne lui jette pas la pierre, explique-t-il. Les épidémies de maladies infectieuses émergentes ne sont jamais les mêmes. Et nous n’avons pas aujourd’hui les moyens de prédire l’évolution d’un phénomène ».
Cet expert relève que si l’épidémie avait été sévère et que la directrice de l'OMS n’avait pas alerté la planète, elle aurait essuyé des critiques encore plus violentes.

Ayant appris de ses erreurs, le Dr Chan aurait alors fait preuve de plus de prudence pour Ebola. « Mais l’OMS n’a pas été la seule à être dépassée. Les pays ont aussi mis du temps à réagir, ce n’était pas évident », glisse le Pr Yazdan Yazdanpanah, chef du service d’infectiologie de l’hôpital Bichat (Paris) et Coordinateur du réseau Reacting (recherche et action contre les maladies infectieuses émergentes ). De fait, le virus n’avait jamais été observé dans cette région d’Afrique, et il n’avait jamais fait un si grand nombre de victimes. Les institutions ont alors pensé que l’épidémie s’éteindrait d’elle-même. 

Une institution trop politisée

Mais au-delà de ces erreurs d’appréciation, c’est le fonctionnement de l’agence qui est remis en cause. Pour l’épidémie d’Ebola, plusieurs mois ont été perdus en raison d’une mauvaise communication entre le siège basé à Genève (Suisse) et le bureau régional de l’Afrique. Dans un rapport interne révélé par Associated Press en octobre 2014, des membres de l’OMS soulignent que le bureau n’a pas fait remonter tous les cas. Ils réprouvent aussi que le responsable du bureau africain n’ait pas été désigné par le Dr Chan mais par les ministres africains de la Santé. Des nominations sur fond politique qui sont source de manquements pour certains.

Secouée, le Dr Margaret Chan avait alors profité de cette crise pour accélérer la réforme de l’OMS. Avec comme leitmotiv, moins de bureaucratie, plus transparence pour une meilleure coopération.  Une réforme qui devrait être poursuivie par son successeur puisque les 3 candidats l’ont inscrite comme priorité dans leur programme.

Des changements qui ont eu du bon. L’OMS a mis en place un programme de prévention des épidémies doté de moyens d’agir en urgence. « Il y a eu une vraie évolution en ce qui concerne les maladies infectieuses sous le mandat de Margaret Chan. Nous avons pris conscience du danger représenté par les maladies émergentes et l’importance d’être prêt à y répondre », relève le Pr Yazdanpanah. 

Des progrès et des succès

Mais pour le Pr Didier Raoult, de l’unité de Recherche sur les Maladies Infectieuses et Tropicales Émergentes de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée infection, Margaret Chan a justement consacré trop de moyens à ces problématiques. « Elle n’a pas su hiérarchiser les véritables problèmes de santé publique. J’aurai aimé qu’elle s’exprime davantage sur la tuberculose, le paludisme ou les infections à papillomavirus, plutôt que les maladies infectieuses émergentes », regrette-t-il.
Une appréciation sévère qu’il porte également sur les 3 candidats à la direction générale de l’OMS. « Il y a de vrais priorités mais malheureusement on en a pas entendu parler ces 10 dernières années, et on ne risque pas d’en entendre parler dans les années qui viennent ».

Pourtant le dernier rapport de l’OMS sur l’état de santé de la population paru la semaine dernière montre que de grands progrès ont été réalisés. En 10 ans, le nombre de personnes atteintes du VIH a diminué d’un tiers grâce à un meilleur accès aux antirétroviraux dans les pays en développement. La lutte contre le paludisme apporte elle aussi ses fruits : le nombre de cas a baissé de plus de 40 % depuis 2 000.
« Et la liste des pays qui ont éradiqué cette maladie ne cesse de s’allonger », se réjouit le Pr Bricaire. Un succès obtenu, notamment, par un meilleur accès aux moustiquaires imprégnées d’insecticides (60 % des habitants en zone à risque en ont aujourd’hui). Gros bémol : la tuberculose reste un fléau avec plus de 10,5 millions de nouveaux cas chaque année dans le monde. Mettre un terme à cette épidémie est l’une des priorités de l’OMS pour 2030.
Mais avant de tirer sa révérence, Margaret Chan, elle, a lancé à  son auditoire : « Le monde est mieux préparé aux épidémies ».

(1) Trois candidats ont été retenus : l’Ethiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, la Pakistanaise Sania Nishtar et le Britannique David Nabarro.