Après les promesses, les controverses et le changement de gouvernance en 2015, on pensait le Human Brain Project (HBP) sorti du champ médiatique. Et voilà qu’on le retrouve dans les colonnes du Point, sous la plume de Véronique Lefebvre des Noettes, psychiatre.
La spécialiste des personnes âgées, qui a participé récemment au séminaire du Collège des Bernardins sur « Humanisme, transhumanisme, post-humaniste », revient sur les espoirs suscités par ce projet de recherche sans précédent qui a défrayé la chronique depuis 2013.Le financement hors norme du HBP – plus d’un milliard d’euros sur 10 ans – avait contribué à l’engouement des médias pour le sujet. Mais c’est aussi le personnage controversé du Pr Henry Markram, porteur du projet, qui avait beaucoup fait couler d’encre.
Le scientifique n’avait pas hésité à avancer des arguments de poids pour « vendre » le HBP à l’Union européenne. Une stratégie efficace puisque l’UE avait accordé sa confiance (et ses euros) au projet qui visait ni plus ni moins à modéliser le cerveau humain, avec pour objectif de mieux comprendre puis de soigner les maladies mentales et dégénératives. En conférence de presse, ou lors de réunions scientifiques, Henry Markram et ses collègues n’hésitaient pas, par exemple, à annoncer que le HBP permettrait de guérir la maladie d’Alzheimer.
Comme le rappelle Véronique Lefebvre des Noettes dans sa tribune, rien qu’en France, 900 000 personnes sont touchées par cette forme de démence. Promettre une voie thérapeutique à l’horizon 2024 alors qu’aucun traitement n’a encore pu être mis au point, ne peut que susciter de l’espoir. Et toucher la corde sensible des financeurs. Une démarche dénoncée par de nombreux scientifiques, chercheurs et médecins, qui ont finalement réussi à imposer un « recadrage » du projet. Les objectifs ont été revus à la baisse, ne promettent plus monts et merveilles, mais semblent cette fois-ci plus réalistes.
Le monde de la recherche voit-il trop petit ? Les visionnaires, comme l’est sans nul doute le Pr Markram, sont-ils empêchés par leurs pairs, effrayés par des ambitions dont l’ampleur ne leur est pas familière ? C’est la question que soulève l’article de Véronique Lefebvre des Noettes.
« Et si, sur le fond, le Human Brain Project souffrait avant tout d'un problème d'échelle ? », propose l’auteur. Et de citer le philosophe Leopold Kohr : « Partout où quelque chose ne va pas, quelque chose est trop gros », affirmait-il, appliquant ce concept aux villes, aux institutions ou aux techniques. Peut-être en va-t-il donc de même pour les projets de recherches...
Voilà pour la forme. Sur le fond, la psychiatre considère que « numériser le cerveau, c'est le réduire à une somme de chiffres, à des algorithmes, lesquels ne ressembleront jamais, de près ou de loin, à un homme conscient. Les chiffres n'ont pas d'âme, et la singularité humaine ne peut se réduire à des concepts ». La spécialiste ne tue cependant pas le projet dans l’œuf, et estime qu'on verra bien en 2024 si le HBP aura – ou pas – fait progresser la recherche sur les pathologies du cerveau. « En attendant, ne faudrait-il pas rester à l'écoute du minuscule, des petites perceptions des malades d'Alzheimer qui jamais ne disparaissent sous la pathologie, questionne-t-elle. Dans mon service, en tout cas, ils nous murmurent de bien jolis récits de vie. Moi, ma maladie, ça me fait penser, a dit l'un d'eux. »