Dernière journée de congrès pour les « addicto ». A Paris, les spécialistes du monde entier se sont réunis pour cette 11ème édition de l’Albatros, rendez-vous scientifique autour de l’addiction – tabac, jeux, alcool, cannabis… Ils veulent mieux comprendre ses mécanismes, ses effets, ses solutions les plus efficaces.
Ils ne sont les seuls. La classe politique, elle aussi, cherche à répondre aux questions d’usages et d’abus des substances. L’une d’entre elles impose un débat inéluctable : le cannabis. Que faire de ses quatre millions de consommateurs ? Après un mandat marqué par le statu quo, le nouveau gouvernement a accouché d’une proposition : contraventionnaliser l’usage. Le fumeur ne serait plus passible d’une peine jugée en correctionnelle, mais il écoperait d’une amende.
Chez les addictologues, les dents ont grincé. La répression sans soins n’a pas de sens, ont-ils martelé. Le ministère de l’Intérieur ne saurait seul prendre en charge le dossier complexe de la consommation de cannabis en France ; la Santé doit être associée. Le gouvernement l’entend-il ainsi ? Qu’en attendent les spécialistes ? Eléments de réponse avec Amine Benyamina, psychiatre additologue à Paul Brousse, président de la FFA (Fédération Française d’Addictologie) et organisateur du congrès de l’Albatros qui s’achève ce vendredi.
Comment vous et les autres professionnels des addictions avez-vous réagi lorsque vous avez appris cette proposition ?
Amine Benyamina : Nous avons été déçus car le cannabis, comme souvent, a été abordé avec beaucoup de maladresse. La question de l’usage devrait toujours être appréhendée selon trois angles : social, sécuritaire et sanitaire. Le ministère de l’Intérieur a clairement indiqué qu’il s’agissait d’alléger le travail de la police. La question de la prise en charge, des consommations problématiques des adolescents, des risques sanitaires et sociaux – une récente étude a encore montré que les jeunes qui fument ont moins de chances d’être diplômés – tout cela a été passé sous silence, relégué à futur hypothétique. Forcément, les acteurs de santé publique se trouvent en porte-à-faux vis à vis de cette logique.
Il faut un cadre global pour s’exprimer sur le cannabis et brosser toutes ses problématiques. Nous l’avons demandé et nous ne désespérons pas de l’obtenir : Emmanuel Macron est un pragmatique, il n’est pas façonné par l’idéologie. Je pense que si nous parvenons à lui mettre tous les éléments sur la table, il les prendra en compte.
Qu’est-ce qui vous fait penser que le gouvernement souhaite ouvrir un débat plus global ?
Pr Benyamina : Car nous avons tous les éléments pour le faire. La conseillère santé d’Emmanuel Macron connaît bien le terrain, elle possède une culture de la réduction des risques – elle s’est notamment engagée en faveur des salles de consommation à moindre risque, contre le détricotage de la loi Evin [sur la publicité de l’alcool, ndlr]…
Par ailleurs, le nouveau président de la Mildeca (Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives) est lui-même empreint de cette culture. Il donne toute sa place au soin, accorde de l’importance à l’hospitalier et à l’universitaire. Nous demanderons très prochainement à être reçus par la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, pour évoquer toutes ces questions.
La contraventionnalisation peut-elle malgré tout être une bonne mesure, si elle s’inscrit dans une politique globale intégrant les soins ?
Pr Benyamina : Si elle s'insère dans un cadre plus large, bien sûr, la voie de la contravention permet de redonner sa force et son autorité à la loi. La réglementation de 1970 sur l’usage des stupéfiants n’est pas appliquée – il faudrait mettre tous les consommateurs en prison pour le faire – ce qui la vide de tout son sens. Il est nécessaire de redonner sa place à la loi, ce que permet de faire la contravention.