Des essais cliniques sur l’homme sont déjà en cours en Chine pour évaluer l’efficacité de CRISPR-Cas9, la technique d’édition des gènes, dans le traitement du cancer du poumon. Mais les scientifiques qui louent la sûreté de la méthode pourraient bien être allés un peu trop vite en besogne, estiment des chercheurs de l’université de Columbia (États-Unis).
Dans un article publié dans la revue Nature Methods, ils alertent sur les résultats observés chez deux souris. Traitées avec succès pour une cécité génétique grâce à cette technique des « ciseaux génétiques », les deux rongeurs présentaient, après la thérapie, de nombreuses mutations sur l’ensemble de leur génome.
Une révolution médicale
CRISPR-Cas9 est une technologie d’édition génétique développée par la microbiologiste, généticienne et biochimiste française Emmanuelle Charpentier et sa collègue américaine Jennifer Doudna. Elle permet de couper les brins d’ADN à l’endroit souhaité, pour retirer ou introduire une séquence d’un gène.
Elle permettrait donc, pour des maladies génétiques, de remplacer des gènes défectueux par une séquence d’ADN saine. Pour cette découverte, les deux chercheuses ont été maintes fois récompensées, et sont pressenties pour l’obtention d’un Prix Nobel.
Elle a en effet révolutionné les biotechnologies, et les applications médicales sont nombreuses. En plus, les recherches effectuées jusqu’à présent n’avaient pas mis à jour de danger particulier de mutations génétiques non souhaitées, en dehors des gènes ciblés.
Risque de cancer
Mais d’après les chercheurs de l’université de Columbia, 1 500 mutations de nucléotides, les éléments de base de l’ADN, ont été observées en dehors des zones prévues d’intervention chez les deux souris traitées. Plus inquiétant encore, CRISPR-Cas9 aurait causé 100 insertions ou délétions de séquences d’ADN.
Suite à l’édition de leur génome, les souris ne semblaient pas souffrir de pathologies particulières. Mais ces mutations sont potentiellement dangereuses, et peuvent provoquer des cancers ou d’autres maladies génétiques.
Les chercheurs regardaient le doigt
Et si les études précédentes n’avaient pas trouvé ces mutations, c’est parce que les scientifiques ne cherchaient pas au bon endroit. La plupart d’entre eux avaient utilisé des algorithmes informatiques pour identifier des zones du génome qui avaient le plus de risques d’être affectées, puis les avaient analysées à la recherche de délétions ou d’insertions.
Des méthodes peu adaptées aux animaux vivants, estime le Dr Stephen Tsang, ophtalmologiste et professeur associé de pathologie et de biologie cellulaire à l’université Columbia, auteur principal de l’étude parue dans Nature methods.
« Les chercheurs qui n’utilisent pas un séquençage entier du génome pour trouver des effets délocalisés passent potentiellement à côté de mutations importantes, explique-t-il. Même un simple changement de nucléotide peut avoir un impact significatif. »
Revoir les risques
Cette découverte va sans doute refroidir un peu la frénésie autour de la technique qui, en plus de l’essai chinois, est prévue dans un essai clinique sur plusieurs cancers, aux États-Unis, sous l’impulsion du NIH, l’institut de recherche médicale américain.
Toutes les thérapies présentent des effets secondaires, et cette découverte ne remet pas tout en question. Mais elle permettra peut-être de ramener un peu le calme dans la tempête CRISPR-Cas9. Un calme qui permettrait de prendre davantage de précautions.
« Nous espérons que nos observations encourageront d’autres chercheurs à utiliser des séquençages complets du génome pour déterminer les effets hors-cible des techniques CRISPR, et étudier les différentes versions à la recherche de la méthode la plus sûre, et la plus précise », conclut le Dr Tsang.