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« Veiller sur mes parents »

La Poste : les facteurs au chevet des personnes âgées

Par Jonathan Herchkovitch

En proposant de nouveaux services à la personne, destinées en priorité aux personnes âgées, La Poste diversifie ses activités.

André Tudela/La Poste

Comme tous les jours, Yoan débute sa journée à 6h30. Il prépare sa tournée, puis enfourche son vélo, trois heures plus tard, pour commencer la distribution à Angers. Courrier, colis et recommandés sont remis, comme depuis toujours.

Mais depuis décembre dernier, le facteur peut faire quelques arrêts supplémentaires. Il participe au service « Veiller sur mes parents » que propose La Poste depuis bientôt six mois. Il est ainsi amené à rendre visite à des personnes âgées*. Leurs enfants, qui habitent souvent loin comptent sur le postier pour jeter un œil, voir si tout va bien, et signaler un éventuel problème.

 

 

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Delphine Mallet, directrice de l'unité d'affaires Silver economy du groupe La Poste : « Nous avons fait des pilotes depuis l’hiver dernier, pour calibrer le service et les processus, et évaluer son intérêt pour les personnes âgées et leurs familles...»

 

Immédiatement après la visite, Yoan remplit un questionnaire détaillant l'état de forme de la personne âgée, auquel il peut éventuellement ajouter quelques commentaires, et qui est immédiatement transmis aux enfants.

Des personnes de confiance

Sur des jours définis, à heures fixes, Yoan passe donc entre cinq et quinze minutes avec des personnes qui le connaissent, et qui ouvrent volontiers la porte à un facteur « C'est ancré en eux, nous sommes des personnes de confiance », assure-t-il. La Poste livre 6 jours sur 7, et il n'est pas toujours possible d'avoir le même postier à chaque visite mais, en général, seuls un ou deux facteurs, trois au maximum, rendent visite à la même personne.

« L'objectif est de pouvoir discuter et échanger avec eux sur leur quotidien, de créer un lien, poursuit-il. On ne peut pas changer d’interlocuteur trop souvent. »

Assistance à distance

« Nous vérifions aussi que le boîtier d'alerte qui est installé chez eux et le bracelet qu'ils portent fonctionnent bien ». C'est aussi la mission du facteur, en plus d’apporter du lien social, de s'assurer que tout est en ordre dans l'appartement, que la personne âgée ne se laisse pas aller, et de s'inquiéter de ses besoins éventuels. Bien entendu, le cahier des charges prévoit aussi que les facteurs vérifient qu'aucune urgence n'est à signaler.

 

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Delphine Mallet, directrice de l'unité d'affaires Silver economy du groupe La Poste : « Nous avons inclus une téléassistance, un bouton d’appel en cas d’urgence, et un service d’assistance dépannage quand il y a un souci domestique. C’est un package qui, autour de la visite régulière du facteur, propose plus de sérénité aux personnes âgées et aux familles...»

 

N'ayant pas de formation médicale, la vérification est sommaire, mais permet de rassurer les enfants, de la même manière que pourrait le faire un voisin. « En six mois de visites, je n'ai pas eu affaire à une seule situation d'urgence, explique Yoan. Mais je m'attends à y être confronté un jour ou l'autre. Au cas où, j'ai fait un peu de secourisme, donc je serai sans doute mieux armé pour m'en sortir. »

 

Ecoutez...
Delphine Mallet, directrice de l'unité d'affaires Silver economy du groupe La Poste : « Nous ne faisons pas d’intervention médicale ou pseudo médicale à domicile. Nos facteurs ne sont ni des aspirants pompiers, ni des médecins ou infirmiers....»

 

Pour lui, ce service fait partie intégrante du métier de facteur, et il ne le ressent pas comme une charge de travail supplémentaire. « Humainement, c'est très intéressant, confie-t-il. J'ai 37 ans, et les personnes sur lesquelles je suis amené à veiller pourraient être mes grands-parents. J'ai habité très loin des miens, et je sais que mes parents auraient adoré avoir ce genre de service pour s'assurer que tout allait bien. Du coup, je prends cette mission très à cœur. »

« Mes médicaments chez moi »

Depuis plusieurs années, La Poste crée de nouveaux services à la personne, souvent destinés aux seniors. Veiller sur mes parents n'est d'ailleurs pas si récent. Depuis quelques années déjà, le groupe postal utilise son réseau de facteur pour des visites à des personnes âgées, sur la demande d'organismes publics ou de collectivités locales. Lors des plans canicule par exemple, les facteurs sont ainsi amenés à se rendre au domicile de personnes fragiles, pour vérifier leur présence et qu'ils sont en bonne santé.

Le groupe expérimente aussi actuellement la livraison de médicaments. Si certaines pharmacies proposent déjà le service, par coursier ou livraison postale, c'est cette fois le facteur qui se chargerait de tout. À l'aide d'une application, les personnes qui souhaitent profiter du service peuvent demander au facteur de venir récupérer leur ordonnance. Ils la remettent ensuite à leur pharmacien, qui prépare les médicaments, et les délivre au facteur qui les apporte au client.

« Mes médicaments chez moi se déroule toujours en lien avec l'officine de proximité, explique Delphine Mallet, directrice de l'unité d'affaires Silver economy du groupe La Poste. C'est important, pour respecter le rôle de conseil du pharmacien ». L'essai en cours à Bordeaux devrait prochainement s'étendre à la Loire-Atlantique et à la Vendée.

Bien vieillir à domicile

La Poste rentre donc de plain-pied dans la silver economy, c'est-à-dire le marché des seniors. Avec, au centre du dispositif, le facteur, qui représente la personne de confiance par excellence. Elle utilise son image auprès du grand public, et notamment des plus âgés, pour proposer des services centrés sur le bien vieillir à domicile.

D'autres services sont à l'étude. L'apprentissage d'Internet, par l'intermédiaire d'une tablette simplifiée et d'une formation à domicile, destinée à réduire la fracture numérique des seniors, existe déjà. « Dans la logique de diversification de nos activités vers les services à la personne, nous étudions aussi la possibilité de livrer des repas à domicile », ajoute Delphine Mallet.

« Ces visites ne changent pas grand-chose pour moi, confie Yoan, le facteur angevin. Quoi qu'il arrive, les personnes à qui je rends visite sont sur ma tournée, et je passe tous les jours devant leur logement. La seule différence, c'est que régulièrement, je sonne à leur porte pour discuter quelques minutes. »

Une vision de sa mission qui n'est cependant pas partagée par tous. La transition vers les services à la personne ne ravit pas certains facteurs, qui y voient une charge de travail supplémentaire, et le monnayage de ce qui, pour eux, devrait faire partie intrinsèque de leur mission de service public (voir encadré).

 

(*) Entre 1 et 6 visites par semaine, pour des prix s'échelonnant entre 39,90 et 139,90 €
 
 

Des services qui coûtent cher au particulier et au facteur

« La Poste se positionne clairement sur le marché de la silver economy, mais dans le même temps, elle ferme des bureaux de poste et dégrade la qualité de ses services historiques ». Emmanuel Cottin, secrétaire départemental au syndicat CGT des services postaux de Paris, dénonce la nouvelle stratégie de la Poste, qui se fait aussi, selon le syndicat, au détriment des conditions de travail des facteurs.

« Les facteurs n’ont pas de temps supplémentaire dégagé pour les nouveaux services à la personne, ajoute-t-il. La Poste considère qu’il y a une baisse d’activité dans la distribution de courrier, ce qui est vrai. Mais dans le même temps, le nombre de postiers a diminué de manière beaucoup plus importante, ce qui a induit pour eux une charge de travail bien supérieure à ce qu'elle était il y a seulement dix ans. »

Il réfute également la nécessité de reconversion d'activités. « Le chiffre d’affaire des nouveaux services n’est pour l’instant que de 43 millions d’euros, contre 11 milliards pour le courrier. Si on pense que les nouveaux services vont faire vivre La Poste, on se met le doigt dans l’oeil. »

Visite chez les personnes âgées, livraison de médicaments... Ces services font partie des missions de service public du facteur, qui les effectuait à titre gratuit jusqu'à présent. La Poste utilise aujourd'hui son statut d'entreprise publique historique pour les vendre, et souvent au prix fort, estime-t-il. « Le facteur et le bureau de poste sont importants pour les gens, et elle essaie de valoriser son image et d’en tirer des profits, comme le ferait n’importe quelle entreprise privée. »

« On affiche une entreprise qui propose du lien social, qui est moderne, qui va sur le numérique, poursuit Emmanuel Cottin. La réalité est beaucoup moins glorieuse, et il y a une dégradation constante de la qualité de travail depuis dix ans. Un recours massif à la sous-traitance, notamment sur l’activité colis. Le groupe compte 20 000 travailleurs sous CDD et contrats d'intérim, sans compter les autoentrepreneurs. La précarité grandit, c’est la réalité du travail de postier aujourd'hui... »