« Fumer tue », « Ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé », « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, consommez avec modération »… Les avertissements, parfois directifs, se multiplient sur les produits alimentaires, le tabac et l’alcool. Les politiques publiques (loi Evin) imposent aussi une réglementation de la publicité, du tabagisme dans les lieux publics ou des taxes sur les produits visés.
Cet interventionnisme place la France dans le peloton de tête de la 2e édition de l’indicateur des états moralisateurs au sein de l’Union Européenne, publié par l’Institut économique Molinari. Tous critères confondus, elle se classe en 6e position, derrière la Finlande, qui domine largement les débats, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Hongrie et la Suède.
Ses politiques publiques sont surtout restrictives pour le tabac (3e), l’alcool (5e) et l’alimentation (2e)
L’art de vivre à la française
La France impose notamment une taxe de 8 centimes sur les boissons sucrées et énergisantes, a interdit les fontaines à soda, et réfléchit à une taxe sur les fast-foods et les confiseries. Elle est aussi le 3e pays européen dans le classement des taxes sur le tabac, fait partie des rares à avoir imposé le paquet neutre, et régule fortement la publicité sur l’alcool, rappelle l’Institut Molinari.
Ce think tank, qui promeut au niveau médiatique et politique une vision libérale de l’économie et de la société, critique vivement cette « faible tolérance à l’égard des modes de vie ». Elle lui reproche de nuire à « l’art de vivre à la française, qui a pris du plomb dans l’aile ». Il s’inquiète d’un durcissement global, sur les 28 pays de l’Union Européenne évalués, des règlementations.
Molinari n’aime pas les règles
Cécile Philippe, présidente de l’Institut Molinari, estime que cette tendance a des effets contraires à ceux escomptés, notamment dans le développement des marchés parallèles, comme pour le tabac. « Mais les effets pervers ne s’arrêtent pas là, ajoute-t-elle. Un nombre croissant de recherches montre que l’essor des réglementations comportementales ne réduit pas les risques encourus par les consommateurs. »
« Il n’y a pas de gloire à être parmi les pays les plus moralisateurs de l’UE, estime Christopher Snowdon, directeur de la division économie des modes de vie à l’Institute of economic affairs de Londres (Royaume-Uni), et qui a établi ce classement. Trop de politiciens semblent convaincus qu’il faut traiter les citoyens comme des enfants. La situation se durcit partout. C’est regrettable, car ces politiques moralisatrices réduisent drastiquement les libertés individuelles sans montrer une réelle efficacité. »
L’Institut Molinari préfère retenir le lien entre revenu national brut et espérance de vie comme « seule relation statistiquement significative observée » de leur analyse. Il faudrait donc plutôt se focaliser sur la croissance économique que sur le contrôle des individus, pour mener une bonne politique de santé publique.
Des mesures efficaces
Un propos étonnant, si l’on en juge par les rapports de l’Organisation mondiale de la santé, qui indiquent qu’une augmentation de 10 % du prix du tabac fait baisser la consommation de 4 %, et de 8% chez les jeunes. Les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) confirment cette tendance. Entre 1990 et 2016, les ventes de tabac ont diminué de plus de 40 %, passant de 100 000 tonnes à moins de 60 000, avec des baisses de ventes fortement corrélées à des actions publiques.
En 2003, le président Jacques Chirac avait « déclaré la guerre au tabac » : deux ans plus tard, les ventes avaient baissé de plus de 25 % pour atteindre un plancher historique depuis 50 ans. L’augmentation spectaculaire du prix du tabac – de moins de 4 € en 2002 à 5 € en 2004 –, accompagnée d’autres mesures comme l’interdiction totale de fumer dans les écoles, avaient donc bien porté leurs fruits.
Du côté de l’alcool, les politiques de prévention ont plutôt misé sur l’interdiction de la publicité. Encore une fois, les lois Veil de 1976 et Evin de 1991 se sont accompagnées d’une accentuation de la baisse de la consommation. Les assouplissements de ces régulations, sous l’influence des industriels, qui permettent à nouveau aux publicités pour les vins, bières et spiritueux de fleurir sur un nombre croissant de supports, semblent liés à un ralentissement de cette diminution
Conflit d’intérêts
Si certains facteurs peuvent aussi expliquer ces corrélations – la hausse du prix du tabac augmente la part de cigarettes achetées à l’étranger, la consommation d’alcool ne baisse plus aussi fortement car un palier est atteint – il paraît difficile de nier aussi catégoriquement que le fait l’Institut Molinari les politiques de prévention, même restrictives.
Toutes les actions n’ont pas la même efficacité, et certaines sont manifestement plus efficaces que d’autres. Mais c’est surtout la combinaison de mesures qui semble fonctionner, comme le montre l’exemple australien : paquet neutre, des hausses de prix supérieures à 10 %, des spots choc... Si les politiques de prévention ont partiellement échoué, c’est peut-être plutôt de ce côté qu’elles devraient mettre l’accent.
Mais le think tank libéral se focalise peut-être plus sur l’intérêt économique que sur le fond des politiques de santé, et n’aime sans doute pas se voir imposer trop de règles.
Regardez l'émission l'Invité santé
avec le Dr Laurent Chambaud
diffusée le 31/05/2017