Les chiffres peuvent paraître alarmants. Chaque année, 18 000 décès et 140 000 hospitalisations sont liés aux effets indésirables médicamenteux. En réalité, nombre de complications sont évitées grâce au système de pharmacovigilance. Voilà plus de 40 ans qu’il surveille les effets secondaires, et alerte les autorités sanitaires des risques.
Créé en 1976, il s’organise autour de 31 centres régionaux (CRPV), dont les rapports sont rassemblés au sein de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Depuis sa mise en œuvre, le système a été renforcé progressivement. Des plans de gestion des risques ont fait leur apparition, et les patients peuvent désormais émettre eux-mêmes une déclaration.
Mais les crises sanitaires récentes ont jeté le doute sur la pharmacovigilance française. Un chiffre est régulièrement cité : seulement 5 à 6 % des effets indésirables sont signalés aux autorités compétentes. Ces incidents seraient donc sous-déclarés. Ce n’est pas l’avis du Pr Bernard Bégaud, professeur de pharmacologie à l’université de Bordeaux (Gironde), fervent défenseur de ce système de surveillance.
Ce sous-signalement est-il le signe d’une faiblesse ?
Pr Bernard Bégaud : Dire que seule une petite partie des cas est remontée n’a pas de sens. Le système n’a pas été conçu pour tout signaler. La notification spontanée a une fonction d’alerte. Il s’agit donc de notifier ce qui n’est pas connu ou ce qui est anormalement grave. Or, cela ne représente qu’une petite quantité des cas. Donc affirmer que le système est défaillant sur la base de ce taux est absurde.
Il est hors de question de faire remonter tous les cas d’effets indésirables. Cela correspondrait à un million de cas chaque année. Rapporter la moindre diarrhée, la moindre éruption cutanée est intéressant… mais si l’effet est déjà connu et inscrit sur la notice, cela ne sert qu’à quantifier.
La pharmacovigilance française est-elle toujours un modèle?
Pr Bernard Bégaud : Au début des années 1980, la France a été exemplaire parce qu’elle a réussi à organiser un réseau décentralisé de centres de pharmacovigilance, qui se situe au contact des praticiens. Aujourd’hui encore, beaucoup d’alertes proviennent des questions qui sont adressées par les professionnels et les patients aux centres, qui ont aussi un rôle de renseignement.
Mais il faut toujours aller de l’avant, et les investissements n’ont pas été accordés dans les années 1990. Je parle d’investissements financiers, mais aussi d’effectifs. La France ne s’est pas donné les moyens d’avancer, d’effectuer des expériences, alors que tout était prêt.
Ensuite, l’affaire Mediator a jeté le doute sur le système de pharmacovigilance. Les spécialistes se sont très mal défendus. Au lieu de provoquer une prise de conscience et de renforcer les systèmes, la crise les a plutôt affaiblis. Mais il y a une confusion complète : l’affaire est due à une défaillance de la décision. D’ailleurs, les pays voisins ont été très surpris qu’on remette en cause la pharmacovigilance française à ce moment. C’était presque un modèle à l’étranger.
Comment le système aurait-il dû évoluer ?
Pr Bernard Bégaud : D’autres systèmes auraient dû être mis en place en complément, comme le système de fouille des bases de données, la fouille textuelle sur les réseaux sociaux… C’est d’autant plus dommage que nombre de ces systèmes ont été théorisés en France. Mais ils n’ont pas été adoptés, par frilosité, par manque d’argent… Aujourd’hui, on évolue de nouveau. Actuellement, l’ANSM soutient deux expériences.
Quelles sont les faiblesses du système ?
Pr Bernard Bégaud : Je l’espère et je le pense. J’espère qu’on avance vers une phase plus constructive. Au fond, personne n’a intérêt à tuer ce système, qui fonctionne bien. Son principal défaut, c’était qu’il n’avait pas connu d’évolution vers des nouvelles techniques. Au cours des cinq dernières années, de nombreuses crises ont eu lieu, avec un impact médiatique et politique énorme.
Aujourd’hui, une alternance politique a lieu. Il faut en profiter pour revoir la copie, parce qu’on ne peut pas travailler sereinement avec une crise qui éclate tous les deux mois, et ce à tous les niveaux. On a besoin de sérénité pour prévenir les problèmes, mais aussi pour rétablir la confiance avec la population et les professionnels de santé.
Est-ce qu’il faut faire plus de pédagogie ?
Pr Bernard Bégaud : Je le pense. C’est d’ailleurs le seul reproche que je formule à l’égard des experts de la pharmacovigilance, que j’admire par ailleurs. Ils n’ont pas suffisamment expliqué combien de cas sont recueillis chaque année, les milliers de questions auxquelles ils répondent, les alertes qui ont été données... Le public doit comprendre tout ce qui est fait et tout ce qui fonctionne. La pédagogie doit aussi expliquer qu’un médicament n’est pas anodin et qu’il peut toujours entraîner des effets indésirables. On avait d’ailleurs suggéré, dans un rapport ministériel, d’introduire des informations très tôt à ce sujet, dès l’école.