Imaginez. Vos dents de sagesse ont été retirées. Afin de limiter la douleur, votre médecin vous a prescrit du paracétamol codéiné. La souffrance s’estompe, mais elle est remplacée par une nausée persistante. D’un tweet rageur, vous vous plaignez du médicament. Le geste est quasi mécanique à l’ère des réseaux sociaux.
Mais prochainement, ce message pourrait être récupéré par une armée d’algorithmes, décrypté et exploité à des fins commerciales. C’est déjà une réalité. Plusieurs entreprises mettent à profit ces précieux témoignages. Parmi elles, Kap Code, une start-up française présidée par Stéphane Schück.
Autorités sanitaires mais aussi fabricants s’intéressent à ce secteur pour une raison très simple. Cette surveillance affine la détection des effets secondaires. Et ce plus rapidement que le système classique. Mais ce service à un coût : l'analyse de vos données sera payante. Parfois même à deux niveaux, car certains forums n'ouvrent leurs portes que moyennant finances. Une approche qui devrait s'avérer lucrative.
Sur la base de ces informations, les acteurs du médicament peuvent en effet déclencher des plans de gestion des risques, lancer des enquêtes plus poussées… bref, agir plus vite face à un risque émergent. Et peut-être, dans le meilleur des cas, réduire le nombre d’hospitalisations. Car chaque année, 18 000 décès des milliers d’hospitalisations sont liés aux effets indésirables médicamenteux.
Des algorithmes pour traquer le négatif
« On a considéré que c’était une source qu’il fallait explorer, explique Stéphane Schück. Beaucoup de gens échangent les expériences qu’ils ont eues avec des médicaments, que ce soit positif ou négatif. » C’est plutôt le négatif qui intéresse l’entreprise et son outil, Detec’t. Il s’appuie sur différents forums et réseaux sociaux pour évaluer les effets indésirables des médicaments.
26 millions de messages, concernant 485 médicaments, ont été passés au crible des algorithmes de la start-up parisienne. Mais ce résultat impressionnant est le fruit d’un long travail de développement, issu d’algorithmes complexes. Ils vont chercher, directement sur les réseaux sociaux, les informations qui lui sont spécifiées.
« Généralement, on entame l’approche avec des mots-clé, précise Patrick Ruch, chef de groupe à l’Institut suisse de bioinformatique. Par exemple, je précise que je veux tous les tweets qui contiennent le terme paracétamol. » Le choix du réseau social à l’oiseau bleu n’est pas fait au hasard. Il propose un accès gratuit aux informations, à condition de disposer de l’outil informatique approprié.
Des filtres successifs
Mais l’objectif n’est pas de récupérer toutes les données proposées par le site. Des filtres successifs sont posés, qui précisent de plus en plus l’information à récupérer. « Le volume est beaucoup trop important pour envisager une manipulation brute », avance Patrick Ruch. Une fois les filtres juxtaposés, la masse d’information est plus raisonnable. Une vérification manuelle est même envisageable.
Mais Kap Code a poussé l’analyse plus loin, en faisant appel à des algorithmes auto-apprenants. « Une fois qu’on a établi un couple entre un médicament et un concept médical, le système estime si le concept médical est un effet indésirable ou non », résume Stéphane Schück. C’est un peu la même philosophie que les logiciels de suivi des épidémies, déjà utilisés depuis longtemps.
Et les applications de ces dispositifs sont multiples. Non seulement il est possible de détecter des effets secondaires connus, mais il est aussi envisageable d’en repérer de nouveaux.
Détecter des signes inconnus
Par exemple, « la fréquence des interactions médicamenteuses n’est jamais signalée dans les rapports officiels, et ces informations ne sont pas examinées lors des essais cliniques », illustre Patrick Ruch. Grâce aux algorithmes, ces informations peuvent être identifiées et distinguées d’un effet indésirable plus classique. En vie réelle, de tels témoignages peuvent influencer fortement les pratiques.
Stéphane Schück espère encore plus de son outil : repérer des symptômes jusqu’ici inconnus et mettre en place une surveillance renforcée. Autrement dit, faire des réseaux sociaux un système d’alerte qui déclenche des enquêtes de pharmacovigilance. Mais cet usage reste peu probable. « Pour avoir travaillé sur le sujet, je le considère comme une source d’information complémentaire, mais pas isolée », tempère Joëlle Micallef, en poste au Centre de pharmacovigilance PACA-Corse.