Les affaires de l’exposition à l’amiante des employés du campus universitaire de Jussieu (Paris) et des chantiers navals Normed (Dunkerque) ne sont pas classées. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris examine à nouveau, depuis le 7 juin dernier, la possibilité d’un recours au pénal pour les associations de victimes.
Sa décision, attendue mi-septembre, pourrait aboutir à la mise en accusation de neuf personnes, responsables scientifiques, industriels ou administratifs, impliqués dans le scandale. Ils sont accusés par la partie civile d’être impliqués dans l’effort de lobbying du Comité permanent amiante. Celui-ci avait retardé l’interdiction totale de l’utilisation de l’amiante, en promouvant un usage contrôlé. Les neuf membres de ce comité seraient poursuivis pour homicide et blessures involontaires.
Seconde chance
En juillet 2014, les accusés avaient obtenu l’annulation de leur mise en examen par la Cour d’appel de Paris. Une décision invalidée un an plus tard par la Cour de cassation, qui avait alors donné une seconde chance aux plaignants.
« Nous espérons que la cour ait entendu nos arguments, a déclaré Me Antoine Vey, avocat des parties civiles, à l'issue de l'audience du 7 juin. À ce stade, ils visent à permettre que l'information judiciaire se poursuive afin de pouvoir précisément discuter dans le cadre d'un procès public et contradictoire du fond de ce dossier.
Aux côtés du célèbre avocat Éric Dupond-Moretti, il a en particulier dénoncé « des conditions particulièrement scandaleuses dans lesquelles les travailleurs et usagers du service public ont été exposés à la fibre mortelle. »
Un « usage contrôlé » controversé
Les défendeurs avancent l’argument scientifique pour justifier l’attitude des membres du Comité permanent amiante (CPA). « La règle scientifique à l'époque était l'usage contrôlé de l'amiante et il n'y avait aucune connaissance scientifique permettant de conclure que son interdiction était obligatoire », a notamment argumenté Me Benoît Chabert, avocat de Jean-Louis Pasquier, l’un des neuf accusés, en charge des risques chimiques au ministère du Travail entre 1977 et 1994.
Les avocats des défendeurs comptent sur un verdict similaire à celui de l'usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau (Calvados). Les huit personnes jugées, dont Martine Aubry, avaient été mises hors de cause.
L’État « anesthésié »
Les risques de fibroses pulmonaires et de cancers étaient pourtant déjà connus depuis les années 1950. Mais la rentabilité de l’amiante avait motivé les industriels à s’organiser, notamment autour du CPA, pour ralentir les évolutions règlementaires. Ce n’est qu’en 1997, sous la première présidence Chirac, qu’il avait été définitivement interdit. Un rapport du Sénat datant de 2005 avait dénoncé un État « anesthésié par le lobby de l’amiante ».
D’après une estimation de l’InVS, l’utilisation de la substance pourrait être à l’origine de 68 000 à 100 000 décès d’ici 2050, notamment de cancers du poumon et surtout de la plèvre (mésothéliomes), qui sont causés par l’amiante dans 80 % des cas.