Il ouvrait jeudi dernier les Journées Nationales de la Fédération Addiction. Nicolas Prisse, le nouveau président de la Mildeca (Mission Interministérielle des Luttes contre les Drogues et les Conduites Addictives), était ici au Havre en terrain connu. Non seulement parce qu’il s’agit de la ville de ses parents et qu’il y a « vécu des moments très heureux ». Mais aussi parce que dans le milieu de l’addictologie, son arrivée semble appréciée, autant que sa culture de la réduction des risque et sa connaissance des problématiques liées aux conduites addictives.
Pour autant, les positions du nouveau président de la Mildeca, dont le maintien en poste n’a pas encore été officialisé, restent à ce jour peu connues. Pour Pourquoidocteur, il revient sur plusieurs points évoqués lors de son discours d’ouverture.
Vous insistez sur la nécessité de renforcer l’efficacité de la prévention. Comment ?
Nicolas Prisse : Les expériences en matière de renforcement des compétences psychosociales sont très probantes. Il s’agit de faire en sorte que les enfants, très tôt, acquièrent une confiance en eux et en l’adulte, un sentiment de bien-être, pour qu’ils sachent dire « non ». Cela se travaille particulièrement au collège mais également en amont, et implique un long processus d’éducation, de pédagogie, d’aide aux parents en difficulté…
Cette stratégie permet de lutter contre les conduites addictives, de retarder l’âge des premières consommations mais aussi de combattre, globalement, toutes les pratiques à risque qui sont une forme de réaction par rapport à un mal-être ou à une difficulté de vie. Ce type de réaction peut s’ancrer très profondément chez les enfants, dès le plus jeune âge. Mon crédo, c’est cela : agir vraiment tôt, en lien avec les familles et l’Education Nationale.
Faudra-t-il davantage cibler les messages préventifs ?
Nicolas Prisse : En effet, il arrive à certains âges, dans certains milieux de vie, pour certaines populations, que l’on ait à insister sur tel ou tel aspect de la prévention. Alors, cette prévention devient un peu plus spécialisée et informative, elle se concentre sur un risque spécifique ou un type de comportement particulier.
En fait, la clé, c’est la combinaison des deux : il faut un travail de fond sur les compétences psychosociales, l’accompagnement des enfants et des collégiens. Mais il convient aussi, de temps en temps, de ponctuer cela par un certain nombre de moments ciblés.
Où en est le projet de décret sur la réduction des risques en prison et les programmes d’échanges de seringues ?
Nicolas Prisse : Le décret n’a pas pu voir le jour sous la précédente mandature. Il y a actuellement deux options. Soit la recherche PRIDE (étude sur la RDR en milieu carcéral, ndlr) produit rapidement des résultats et pourra servir à orienter le texte. Soit on se met assez tôt d’accord sur une nouvelle mouture du texte ; alors, il sera peut-être possible de le sortir avant la fin de l’étude. Le plus important, finalement, c’est que les deux se fassent : la recherche et la parution du décret, le plus tôt sera le mieux.
Car le risque, c’est que certains établissements pénitentiaires, où la direction s’entend bien avec le service santé et les syndicats, s’engagent dans des actions favorables en terme de réduction des risques, quand dans d’autres établissements, il ne se passe rien. Le décret constitue un avantage en terme d’égalité de traitement sur le territoire. Cela obligera un peu tout le monde à s’intégrer dans ce processus, même s’il existe déjà des expériences conduites ça et là. Il faut en faire un peu plus, partout.
Vous avez évoqué la nécessité de définir « la juste place du vapotage ». Quelle est-elle ?
Nicolas Prisse : Nous devons établir comment, concrètement, le vapotage peut être utile au sevrage tabagique, et dans quelles circonstances. Nous savons par exemple que le « vapo-fumage » (association vapotage/tabac) n’est pas efficace. Il faut que la vape soit utilisée dans de bonnes conditions pour, effectivement, conduire à l’arrêt du tabac.
Par ailleurs, la juste place consiste à vérifier que ce type de produit ne présente pas d’effets secondaires que l’on ne connaîtrait pas aujourd’hui. Le poumon est un organe si fragile, surtout chez les jeunes… Il appartient à toute la communauté scientifique et aux pouvoirs publics de se mobiliser pour que le vapotage soit sécurisé, même si ce message est parfois difficile à faire passer. Il faut donc à la fois favoriser son utilisation dans la perspective du sevrage tabagique et rester vigilants sur ces potentiels effets indésirables.
En faire un dispositif médical délivré en officine peut paradoxalement rendre la vape moins accessible. Je suis un peu partagé sur ce sujet, ma doctrine n’est pas faite. Je crois qu’il faut continuer à travailler pour affiner les analyses.
Va-t-on aller plus loin que la contravention pour l’usage de cannabis ?
Nicolas Prisse : La contravention, ce n’est qu’un petit « bout » d’une politique plus globale, qui inclut la réduction des risques et la prévention. Il faut également, à mon sens, revisiter les alternatives aux peines telles qu’elles ont été pensées auparavant, faire un bilan, évaluer leur efficacité notamment sur les plus jeunes et les conduites addictives avérées. Nous devons réfléchir à un moyen de proposer au sein du parcours judiciaire – si parcours judiciaire il y a – quelque chose de plus efficace que les rappels à la loi ou les alternatives aux peines, lesquels n’ont pas montré un effet probant sur la récidive et l’insertion dans un parcours de santé.
Je n’ai pas entendu parler d’un projet de régulation du cannabis. Je crois qu’il faut maintenir un discours ferme, lutter contre la banalisation sans tomber dans l’excès de « trouille ». Il faut trouver le ton juste et insister sur les consultations jeunes consommateurs, le repérage précoce, l’intervention brève.