Après une carrière fructueuse, la retraite commence mal pour le Pr Michel Aubier. Le pneumologue très médiatique, retraité depuis l’été 2016, comparaîtra devant le tribunal correctionnel de Paris le 14 juin pour « témoignage mensonger sous serment ».
Entendu en 2015 par une commission d’enquête du Sénat sur la pollution atmosphérique, il avait omis de déclarer une rémunération importante provenant du groupe pétrolier Total, dépassant les 100 000 euros par an.
Lors des audiences de cette commission, il avait notamment estimé que l’impact sur le développement de cancers était « extrêmement faible ». Une posture qu’il maintenait, un an plus tard, sur le plateau d’Allô Docteurs, sur France 5, et qui avait conduit certains de ses confrères à publier un communiqué en mars 2016, rappelant les effets cancérigènes de la pollution, études à l’appui. L’Organisation mondiale de la santé avait notamment, dès 2013, confirmé le lien avec des cancers du poumon.
171 504 euros
La carrière du Pr Aubier a été fructueuse, professionnellement mais aussi financièrement. Le chef du service de pneumologie de l’hôpital Bichat (Paris) était également salarié par le groupe pétrolier Total depuis 1997. Un poste de médecin-conseil de la direction générale au salaire généreux.
D’après des informations du journal Le Monde, qui a eu accès au compte-rendu de l’enquête judiciaire, le médecin aurait touché pour cette fonction près de 100 000 euros en 2012, et jusqu’à 109 956 euros en 2014. Il avait, en plus, bénéficié d’actions gratuites du groupe pour plus de 60 000 euros, toujours en 2014.
En tout, pour cette même année, il aurait donc reçu 171 504 euros en provenance de Total. C’est bien loin des 50 000 à 60 000 euros qu’il avait avoué avoir touchés, après que Libération et Le Canard enchaîné ont divulgué ses liens d'intérêts.
Des liens, mais pas de conflit ?
Un pneumologue grassement rémunéré par un groupe pétrolier, très médiatique et qui minimise indirectement les effets du diesel et des particules fines sur la santé, à la télévision et devant le Sénat ; cela ressemble bien à du lobbying médiatique et politique. Les enquêteurs estiment que ces sommes mettent « en évidence un conflit d’intérêts entre les activités exercées par Monsieur Aubier au sein du groupe Total et son activité médicale au sein de l’hôpital Bichat ».
Pas pour son avocat. « On poursuit mon client pour témoignage mensonger. Or il n’a pas menti, puisqu’il n’était pas en situation de conflit d’intérêts, indique au Monde Me Saint-Pierre. Il était médecin du travail, et pas conseiller en stratégie pétrolière. » En résumé, la défense classique « pas de conflit, seulement des liens ».
Le Pr Aubier a d’ailleurs affirmé que son activité chez Total était bien connue, et qu’il ne l’avait « jamais cachée ». Il l’aurait d’ailleurs signalée en 1996 à sa hiérarchie, qui l’avait autorisée. Une autorisation qui n’a pas laissé de trace écrite, mais dont Anne-Marie Armanteras-de-Saxcé, alors directrice de l’hôpital Bichat, semble se souvenir.
Du côté des associations, on attend un jugement exemplaire. Écologie sans frontière et Générations futures attendent « des peines exemplaires ». Ils souhaitent que « ce procès soit le début d’une prise de conscience des méfaits des conflits d’intérêts dans le domaine de la santé ».
Dans le jugement qui l’attend, le Pr Aubier risque jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende.